Elon Musk est un serial entrepreneur multimilliardaire. Il est artisan de PayPal, d’Hyperloop, d’OpenAI, de Neuralink et est à la tête de SpaceX ainsi que DG de Tesla. En digne successeur de Steve Jobs et Bill Gates, il est dans la logique californienne d’opportunités/business pour contribuer à rendre le monde meilleur. Il n’est pas exempt de paradoxes. Il souhaiterait ainsi dans ses rêves terraformer Mars alors que sur Terre le passage de 0,03 % de CO2 dans l’air à 0,04 % est catastrophique pour le réchauffement climatique tandis que l’atmosphère sur Mars est hostile en étant composée de 95,97 % de CO2 et même de 0,0557 % de monoxyde de carbone ! Dans l’état actuel des connaissances, le coût serait vertigineux. Intuitif, parfois instable, il fait aussi usage de stupéfiants. Certains comme Asma Mhalla que l’on voit beaucoup sur les plateaux télé en ce moment le qualifient « d’anarchiste de droite ».
Rachat de Twitter, un coup de folie raisonné ?
Après de longs mois de suspens, Elon Musk a fini par acheter le 27 octobre 2022 Twitter pour 44 milliards de dollars soit moins de 20 % de sa fortune personnelle.
Comme le fait remarquer Eric Dupin dans un billet sur LinkedIn, Elon est un peu comme un gamin qui s’amuse avec son jouet qui lui a coûté une fortune sur un coup de tête, résultant d’un achat impulsif. La sur-valorisation, ce sont finalement les employés et les utilisateurs qui en font les frais. Il n’a pas acheté Twitter pour gagner de l’argent mais pour avoir une influence et de la gloire. L’histoire regorge en effet de grands capitaines d’industrie qui à un moment de leur vie se paient un média. En France on pourrait citer Jean-Luc Lagardère, Francis Bouygues ou même Xavier Niel.
Il souhaite – et c’est la mission ambitieuse qui s’est fixé – que Twitter devienne de loin la source d’informations la plus précise sur le monde. En effet, même si le nombre de comptes est moins important comparativement à Facebook, YouTube, Instagram et TikTok qui dépassent tous les 4 le milliard, les quelques 330 millions d’utilisateurs actifs mensuels sont des relais d’opinion importants parmi lesquels journalistes, influenceurs, politiques, marketeurs pour les tendances, personnalités sportives et artistiques. Du côté des réseaux sociaux, selon son secteur d’intérêt, certains outils sont à privilégier comme indiqué dans le livre Pro en réseaux sociaux (outil 3, page 17). Et pour relayer des opinions, des événements en temps réel et susciter le buzz, Twitter est précieux voire indispensable.
Quelles évolutions pour Twitter et crispation autour des comptes certifiés et de la pastille bleue ?
Outre le contenu de qualité souhaité – ce qui semble plus difficile avec 2 fois moins de personnes pour la modération humaine et algorithmique tout en respectant la liberté d’expression dans le cadre de la loi – sont évoqués par Elon Musk la possibilité d’ajouter un texte long à un tweet, Twitter évoluerait ainsi à la Tumblr, le réseau social racheté par Yahoo. On aurait une amélioration de la recherche de tweets sur Twitter, la monétisation du contenu par les créateurs de comptes certifiés notamment les vidéos rétribuées de 1 à quelques dollars par personne les visualisant un peu comme les articles payants dans la presse en ligne et aussi la suspension des comptes usurpant une identité. Ont été évoqués le retour de l’application pour les courtes vidéos en boucle Vine ainsi qu’une commission pour la modération du contenu.
Elon Musk a déclaré le 1er novembre que pour bénéficier du badge compte certifié, il conviendrait de débourser de façon récurrente 8 dollars tous les mois. On estime à 420 000 le nombre de comptes certifiés sur Twitter soit 0,17 % des 240 millions de comptes actifs quotidiens [selon Statista]. Pour une option payante souscrite par tous, cela équivaudrait à une recette de 40,3 millions de dollars par an sachant que le chiffre d’affaires 2021 s’élevait à 5,1 milliard de dollars. Ceci équivaut à 0,8 % du chiffre d’affaires annuel de Twitter, ce qui reste négligeable dans le business plan global de l’oiseau bleu.
Cette pastille bleue payante pourrait s’avérer intéressante pour ceux qui ne l’ont pas mais beaucoup moins pour ceux qui l’ont déjà… De surcroît, malgré ses millions d’abonnés la pastille compte certifié n’a pas suffi à Donald Trump qui a été déplateformisé pour fake news en janvier 2021.
Loïc Le Meur estime qu’il est justifié de payer par rapport à l’aura qu’elle apporte. Henri Verdier, ambassadeur pour les affaires numériques pour la France, soutient le contraire. Notons que Loïc a été l’un des premiers à l’avoir, il avait pris la défense du secrétaire d’État Frédéric Lefebvre qui avait vu son compte suspendu 24 heures après sa création en 2009 et qui fut l’un des tout premiers à l’obtenir pour la circonstance. Ce n’est pas toutefois parce que l’on a un compte certifié que l’on a plus de J’aime, de commentaires ou de retweets, il existe des comptes avec 20 k ou 30 k abonnés qui ont des tweets orphelins (c’est-à-dire sans aucune reprise).
On pourrait même imaginer, à l’instar d’un compte Premium sur LinkedIn ou d’une campagne de référencement payant en sus du référencement naturel (SEO) pour un site web, avoir son compte certifié certains mois lorsque l’on décide de payer.
Le nouveau PDG de Twitter qui règne en maître est dans le mode apprendre en marchant ou test and learn. Il lance une idée, regarde les réactions et ajuste en conséquence. C’est parfois brutal mais c’est une règle tacite de fonctionnement de bien des entreprises du numérique aux États-Unis.
Aux dernières informations, le badge bleu serait gratuit pour ceux qui le possèdent déjà avec une vraie vérification d’identité, le badge bleu payant serait identique et pas distinguable pour l’internaute. Enfin, on aurait en plus une mention « officielle » laquelle serait gratuite pour les comptes de VIP.
Nombreux remous dans la twittosphère
La société américaine Wisetek a analysé les comportements des internautes les jours qui ont suivi l’officialisation du rachat de Twitter le 27 octobre. Les recherches « How to Delete Twitter » ont bondi de 1011 % les 24 heures qui ont suivi, « Delete Twitter » de 560 %, « Twitter Alternatives » de 300 %, Mastodon de 455 % mais a contrario « How to Sign up to Twitter » (comment s’inscrire sur Twitter) de 147 %.
Après le rachat de Twitter par Elon Musk, le Haut-commissaire aux droits de l’Homme des Nations unies a publié le 5 novembre une lettre ouverte. Dans celle-ci, il exhorte Musk à respecter six principes fondamentaux, parmi lesquels la liberté d’expression, la protection de la vie privée et la garantie de la transparence. Julie Jacob, fondatrice et dirigeante du cabinet Jacob Avocats qui vise à anticiper les évolutions juridiques, numériques et techniques écrit ceci :
« L’une des promesses d’Elon Musk est d’imposer le retour de ce qu’il estime être la liberté d’expression. A ce titre, l’acquéreur a indiqué qu’il entendait assouplir la modération des contenus sur un possible regain d’abus et de désinformation de la plateforme avec l’exemple du retour de Donald Trump. Mais contrairement à ce qui est avancé par Musk, on retrouve le lancement d’un abonnement payant qui sert à certifier son compte et être moins exposé à la publicité. Cet abonnement offrirait plus de visibilité aux abonnements payant, ce qui touche à la liberté d’expression des utilisateurs qui ne payent pas et qui voient son étendue se réduire. »
Globalement, les réactions des twittos ont été vives. Certains ont envisagé de migrer vers Mastodon, réseau social de microblogging en open source et décentralisé proche fonctionnellement de Twitter. On trouve même un guide de la migration de Twitter vers Mastodon. D’autres attendent de voir la promesse d’un nouvel outil avec Bluesky social, co-créé par le fondateur de Twitter Jack Dorsey, qui est en bêta et va bientôt être lancé.
Il est possible que les migrations vers des outils peu ou prou équivalents pour les fonctions de base et sans masse critique au départ soient un peu comme celles de WhatsApp vers Signal et Telegram, c’est-à-dire assez limitées.
Le risque pour Bluesky social est d’être dans un syndrome à la Gettr qui ne perce pas et sur lequel Trump a trouvé refuge et qui au-delà des États-Unis reste très confidentiel.
Pour des usages professionnels, certains vont se rabattre sur Microsoft (avec notamment LinkedIn), le grand gagnant des difficultés de Meta et des autres géants qui pourraient un peu marquer le pas. Pour l’écriture d’articles d’information, nous avons aussi le réseau social Made in France Smartrezo qui n’utilise pas les balises de traçage pour la protection des internautes.
Pour réaliser des économies, un plan de licenciement de 50 % du personnel sur les 7 500 employés de l’entreprise de San Francisco a été décrété avec désactivation immédiate des badges des employés par mesure de sécurité. Puis certains ont été rappelés car essentiels au fonctionnement du réseau social… Et en 24 heures des salariés ont été remerciés, ces méthodes de cow boy sont possibles Outre Atlantique mais atteignent dans le cas présent leur paroxysme. En outre la fin du télétravail a été décrétée. Un ancien n – 1 d’Elon Musk m’évoquait son manque cruel d’empathie. Elon Musk souhaite que les rescapés travaillent 84 heures par semaine et non 42, ce qui fait 14 h par jour en comptant une semaine de 6. Une telle charge de travail est possible et encore ponctuellement quand on est PDG d’une très grosse structure car comme disait modestement mon oncle à ma tante, lequel était ancien directeur d’usine chez Lafarge réveillé à 3 heures du matin pour une urgence « Il faut bien que je justifie mon salaire ». Ce qui est compréhensible à la tête de l’entreprise l’est beaucoup moins pour pour un data scientist ou un développeur full stack.
Pour l’heure Elon Musk est omniprésent sur Twitter. Il répond à des twittos comme s’il consacrait une très grande part de ses journées à cette activité. Et les comptes suspendus sont souvent le fait du prince. Des faux Elon Musk avec la pastille compte certifié ont fleuri ces derniers jours du fait du changement de nom mais pas du compte @nom_ou_pseudo_de_la_personne. Il s’agissait de prouver que le badge avait une signification. Nombreux ont alors été déplateformisés par le nouveau CEO lui-même. L’usurpation d’identité de sa majesté est sanctionnée immédiatement mais pas forcément et rapidement pour le quidam. Ainsi Kathy Griffin avec ses 2 millions d’abonnés et sa provocation en a fait les frais.
Les prochaines semaines risquent de nous réserver des surprises dans ce feuilleton à rebondissements. Il s’agit quand même du média le plus influent dans le 5e pouvoir.
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