Avec Nathalie Chiche, présidente de Data Expert, j’ai rédigé une tribune pour le JDD (Journal Du Dimanche) qui est un plaidoyer pour un ministère d’Etat à la société numérique. Le précédent secrétaire d’Etat était davantage dans la communication numérique que le numérique en tant que tel et encore moins dans la transformation numérique (ou digitale) dont notre pays a besoin pour être dans un cercle vertueux. Nous connaissons actuellement le nom de son successeur, Cédric O. Pour l’heure, il n’y a pas d’évolution dans l’optique de créer un grand ministère du numérique comme cela a été le cas pour l’écologie. Les deux sujets sont centraux pour notre société. Bonne chance à Cédric O et son équipe pour le développement du numérique en France.
La tribune est reproduite ci-après :
TRIBUNE – A quelques jours du remaniement, Nathalie Chiche, présidente de Data Expert & DPO externe, et David Fayon, consultant Transformation Digitale, auteur de Made in Silicon Valley, appellent à la création d’un ministère d’Etat à la société numérique.
La tribune de Nathalie Chiche, présidente de Data Expert & DPO externe, et David Fayon, Consultant Transformation Digitale, auteur de Made in Silicon Valley, qui demandent la création d’un ministère d’Etat à la société numérique :
« Aujourd’hui, le numérique représente LE nouvel outil de puissance et de souveraineté. En témoigne la fin de non-recevoir d’acteurs très puissants (Amazon et Alibaba) refusant de signer la Charte de bonne conduite des acteurs du e-commerce présentée par Mounir Mahjoubi mardi dernier, afin d’instaurer un cadre de confiance entre plateformes et TPE/PME.
Ou encore dans le domaine fiscal, la difficulté de taxer pour les profits réalisés les GAFA et autres géants du numérique qui, en situation de quasi-monopole, répercutent les taxations sur leur prix de vente et pénalisent in fine les PME françaises et les particuliers qui supportent le manque à gagner de l’Etat.
Au-delà des géants américains (GAFAM) et chinois (BATX), des pays comme l’Estonie, Israël – la ‘start-up nation’ -‘ ou encore le Royaume-Uni, ont fait un avantage compétitif du numérique.
Le premier pour son e-administration au service des citoyens, le deuxième pour le dynamisme économique avec une plus grande porosité entre le monde des entreprises, des start-up, de l’enseignement comme on le constate surtout en Californie où les capitaux abondent, le troisième pour la finance et la vision qu’avait eu Tony Blair et qui se traduit aujourd’hui dans les chiffres : 17 licornes au Royaume-Uni alors que la France n’en dénombre que 3.
Le numérique n’est pas un secteur particulier.
Il est transverse et impacte tous les secteurs de l’économie d’un pays. Il est de nature à disrupter son organisation politique. De fait, tous les ministères de notre République française sont impactés par le numérique : Education, Défense, Fonction publique, Industrie, etc.
Il s’agit de pouvoir réaliser la transformation numérique de toute notre société. Concrètement, de la rendre plus agile, de la faire passer d’un monde en « silos » à un monde collaboratif, monde en phase avec les usages induits par les nouvelles technologies et au service des citoyens dans un cercle vertueux de création de valeur.
Le défi pour le Président de la République Emmanuel Macron est d’en saisir les enjeux dans un cyberespace qui s’affranchit des frontières géographiques.
On le constate, les notions traditionnelles de territoire et de souveraineté nationale sont peu opérantes et la régulation sur Internet par des acteurs privés demeure un défi de taille pour notre pays.
Chaque jour, de grandes questions relatives à la préservation des libertés, à la neutralité du Net, à la protection des données, à la cybercriminalité, à la circulation des biens culturels, à la diversité culturelle et linguistique ou encore à l’impact environnemental s’invitent au cœur de nos débats et font l’objet de nombreuses controverses (fake news, cyberhaine, cyberattaque, …).
Ces grandes problématiques vont s’amplifier avec des évolutions décisives et déjà initiées, comme le déploiement de la 5G (alors que des zones critiques n’ont pas de couverture réseau et que la fracture numérique reste une réalité pour 1 Français sur 5) ; les capteurs connectés sur tous les objets de notre quotidien (la bataille des assistants personnels et l’Internet des objets) ; l’intelligence artificielle ; la blockchain ; l’impression 3D, etc.
Il ne s’agit pas d’être technophile mais d’utiliser la technologie pour le bien de tous et sans discrimination.
Dès lors, pourquoi ne pas envisager la création d’un super ministère régalien impactant toutes les questions liées au numérique, doté de moyens politiques, diplomatiques, mais aussi industriels, économiques à la hauteur des défis vertigineux à relever?
A l’évidence, l’éparpillement des compétences ‘numériques’ entre de multiples ministères et agences entrave la cohérence et la portée des décisions au plus haut niveau de l’Etat sans compter que le nombre d’échelons hiérarchiques des administrations ne s’inscrit pas dans une tendance d’agilité et de service pour les administrés.
Pour l’heure, la France est dangereusement distanciée par ces acteurs privés, principalement américains et chinois, conservant leur mainmise sur la matière première de l’économie numérique : la donnée!
Leur rente informationnelle provient principalement de la collecte, du traitement ou de la vente des informations de l’Europe, leur premier réservoir!
Le premier enjeu pour la France est de reprendre la main pour instaurer une fiscalité plus juste et un changement de posture dans l’incitation à l’innovation en pensant international dès le départ, ce qui permettrait l’éclosion de champions français et européens du numérique et pouvant peser sur la scène internationale, en profitant de nos savoir-faire différenciants, de nos formations d’excellence reconnues aux États-Unis, etc..
Ceci serait accompagné d’une stratégie concertée et centralisée, à l’exemple du Règlement Général de Protection des Données (RGPD).
Le deuxième enjeu pour la France est de mettre en place d’une véritable politique industrielle européenne, à même de défendre notre souveraineté face aux appétits de la Chine et des États-Unis, condition indispensable pour ne plus reproduire l’échec du rapprochement entre Alstom et Siemens et assumer un rôle décisif dans le monde numérique du 21èmesiècle.
Il s’agit aussi de pouvoir grâce au numérique réindustrialiser la France tout en veillant aux enjeux pour la planète sachant aussi que l’enjeu des matières premières, des terres rares nécessaires pour le numérique est à considérer.
Le troisième enjeu pour la France et l’Europe réside dans la souveraineté numérique : avoir des serveurs localisés sur sol européen pour être maître de nos données.
On pourrait en étant disruptif imaginer que le cloud européen soit hébergé à St Pierre et Miquelon alors que les acteurs américains ont pour certains misé sur l’Alaska pour des raisons d’optimisation énergétique.
Mais aussi ne pas être dépendant d’équipements réseaux ou de matériels qui pourraient encapsuler des outils d’espionnage.
Ne perdons pas de vue que numérique et intelligence économique sont intimement liés.
Il en va de même pour la dévulnérabilisation et l’évolutivité des solutions informatiques de l’État, des collectivités territoriales, des hôpitaux et des entreprises dans leur ensemble.
Des chantiers seront à prioriser selon les marges budgétaires qui sont minces.
Le quatrième enjeu pour la France est de rendre compatible le développement de l’économie numérique, le respect des droits individuels et des libertés fondamentales des citoyens français et des lois applicables à la hauteur des enjeux économiques, éthiques, et même philosophiques du numérique!
C’est un élément de différenciation important par rapport aux modèles américain et chinois.
En décembre dernier, un rapport de l’Institut Montaigne soulignait qu’une poignée de députés maîtrisent ces enjeux quand leur rôle reste prépondérant dans la fabrique et le suivi de nos lois.
La tâche du politique est d’organiser une cohérence entre tous les ministères pour que les nombreux enjeux du numérique soient connues et choisies en toute connaissance de cause par les citoyens. Encore faut-il que nos ministres français, leur cabinet et plus généralement l’ensemble des décideurs publics aient aussi accès aux connaissances techniques nécessaires!
L’innovation et la réactivité au changement sont les seuls atouts dont la France peut se prévaloir pour regagner en influence sur l’échiquier mondial du numérique.
Et cela commence au plus haut niveau de l’Etat…
Réponse le 1er avril, en espérant qu’il n’y ait pas de poisson ce jour-là ! »
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