Rapport parlementaire sur la souveraineté numérique nationale et européenne

Le rapport d’information du député Philippe Latombe (MoDem) intitulé « Bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne » est disponible et téléchargeable. Il est malheureusement passé sous silence du fait de la focalisation des médias sur le contexte sanitaire qui nous laisse groggy alors que le long terme, l’avenir numérique du monde et de la société, se joue.

Décliné en 4 axes, il regroupe 8 ambitions et 30 propositions majeures (66 au global).

Les personnes interrogées, nombreuses, ne sont pas toujours représentatives de l’écosystème numérique dans son ensemble, par exemple côté start-up – absentes – ou BPI France et abondantes côté sphères de l’État. Plusieurs représentants français d’entreprises essentiellement américaines par exemple ont été auditionnés (comme Google, Microsoft, Cisco ou IBM mais pas d’Apple car pour la firme de Cupertino la culture du secret est la règle absolue). L’importance du lobbying des GAFAM ressort.

parts de marché des GAFAM pour les systèmes d'exploitation, moteurs de recherche, médias sociaux, cloud, publicité, e-commerce

Les propositions, souvent de bon sens, sont distillées, mais pas toujours de façon cohérente sans vision d’ensemble de l’écosystème numérique avec ses liens avec l’industrie et les pans d’activité de la société et surtout ne font pas l’objet de quantification et de chiffrage.

L’accent est porté sur le recours au logiciel libre dans les administrations pour réduire la part des solutions logicielles propriétaires notamment extra-européennes, ce qui est une bonne chose qu’il convient de saluer.

Par exemple, la proposition 34 en lien avec la proposition 50 augmenter les moyens financiers et humains de l’ANSSI pour lutter contre les cybermenaces ne précise pas à quel niveau. Il en va de même pour la proposition 5 pour augmenter les moyens de la CNIL.

Pour la commande publique (proposition 26), le recours aux solutions d’acteurs technologiques français ou européens (proposition que PlayFrance.digitale, IT50+ et Objectif France ont formulé précédemment) est indiqué, ce qui prouve que cette idée de souveraineté numérique fait son chemin pour passer à ce que j’appelle la nécessaire « décolonisation numérique européenne ». Elle n’est toutefois pas quantifiée comme c’est le cas avec ces 3 acteurs mentionnés juste avant, à savoir a mimima 50 % de la commande numérique pour des solutions françaises et européennes. La récente tribune de Luc Bretones de l’IT50+ fait écho de ce nécessaire cap des 50 %. On pourra observer que jadis, la part des immatriculations des voitures neuves en provenance du Japon était limitée à 3 % en France alors qu’en Allemagne, pourtant puissance industrielle et forte dans le secteur automobile à la fin des années 1980, à ce moment-là, non limitée, dépassait les 7 %. Aussi le rôle de l’État est crucial pour provoquer dès l’enseignement des réflexes d’usages poursuivi par la suite dans le monde professionnel.

Pour la 5G dont les usages seront surtout créateurs de richesses pour les entreprises (industrie 4.0, téléchirurgie par exemple), les aspects sécurité sont mentionnés mais il convient aussi pour le développement des infrastructures de se focaliser sur la réduction de la fracture numérique : mieux vaut avoir de la couverture réseau partout y compris dans les zones rurales plutôt que de scander 5G sans se soucier des déserts numériques. Du reste la fracture numérique est également côté de l’équipement, des usages et de la formation. La proposition #1 « Créer un « comité numérique de crise » réunissant les opérateurs, les grands acteurs du numérique et les pouvoirs publics en cas de difficulté majeure sur les réseaux numériques » est intéressante. Cependant, ne faudrait-il pas élargir les attributions d’un comité existant pour mutualiser les moyens plutôt que dans créer un nième qui a un impact pour des finances publiques plus qu’exsangues. La proposition #19 a un parfum de Covid mais la comparaison est bonne : « Former les citoyens aux gestes-barrières face au risque cyber » car le phishing, les virus, les rançongiciels et les autres menaces concernent chaque citoyen dans la sphère tant privée que professionnelle avec des frontières qui se sont amenuisées compte tenu de la crise sanitaire, du télétravail, des téléétudes, etc.

La proposition 45 de création d’un ministère du numérique n’est pas nouvelle. Je l’appelais de mes vœux avec Nathalie Chiche. La proposition 10 pour le déploiement de l’identité numérique en France revêt du bon sens avec deux préalables, la simplicité de la solution, le non-recours à de la cybersurveillance pour préserver les libertés individuelles déjà fortement entachées avec les confinements puis le contraignant Pass Sanitaire qui est une formalité en plus indépendamment de toute question de vaccination qui relève d’un autre registre.

La dépendance au matériel est évoquée mais pas de solutions sont suffisamment développées à l’échelon européen pour développer une industrie électronique et numérique respectueuse des contraintes écologiques qui soit abordable et local. Ainsi pour l’autonomie stratégique, 5 domaines sont recensés (blockchain, IA, informatique quantique, cloud et satellites) qui sont pertinents avec des impacts temporels différents mais sont à compléter selon la couche de valeur du numérique : matériel, logiciel et système d’exploitation, données. Quant à la constellation de satellites orbite basse, le modèle économique reste encore à trouver. On en parle depuis le début des années 1990.

La formulation « la puissance publique est certes concurrencée mais encore ‘maîtresse à bord’ » est un peu naïve quand on voit l’omnipotence des GAFAM et la déplateformisation du président américain, première puissance mondiale début janvier 2021.

Parmi les leviers pour les décideurs publics, outre les leviers politiques, économiques et juridiques décrits, il conviendrait de rajouter celui du lobbying et de l’intelligence économique avec une plus grande curiosité et ouverture sur l’international.

Au global, un rapport intéressant quant aux enjeux de la souveraineté numérique qui gagnerait à être quantifié et plus ouvert sur les cas d’usage de l’industrie et de la société même si son objectif est d’évangéliser quant à la nécessaire souveraineté numérique qui est une nécessité vitale pour notre économie, nos emplois, notre modèle de société.

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