1. Comment est née l’idée de la Scriblette ? Quel est le modèle économique ? Comment voyez-vous les prochaines étapes ? Avez-vous le souhait de développer un écosystème autour ?
Voir ma fille revenir du collège avec un cartable de 10 kg a été l’élément déclencheur de cette idée de fourniture scolaire numérique. C’était en 2010, et il faut bien constater qu’en 2019, le problème de poids des cartables est toujours présent.
Après le dépôt de brevet et avoir répondu à 2 appels à projets du ministère de l’éducation et obtenu une aide de Cap’Tronic pour fabriquer une maquette puis un prototype, nous avons pu réaliser une expérimentation dans un collège parisien avec la première version du prototype. Nous avons pu tester l’usage et le modèle économique. Nous avons emmagasiné suffisamment de retours d’expérience pour concevoir une version améliorée répondant à des cas d’usage plus variés et élargir notre cible à un public extra-scolaire. Désormais, nous touchons des musiciens, des écoles de musique, des ergothérapeutes, des étudiants dans l’enseignement supérieur, des hommes (et femmes) d’affaires.
Le modèle économique est basé sur le concept de Fourniture Scolaire Numérique : le parent achète une scriblette non addictive et sans fatigue oculaire en remplacement des fournitures scolaires papier. À prix équivalent, son enfant bénéficie ainsi d’un outil numérique soulageant son dos, ses yeux tout en améliorant ses résultats scolaires. Évidemment, les institutions ont leur rôle à jouer en aidant les familles les plus modestes.
La prochaine étape est la disponibilité d’un outil de déploiement et de gestion de contenu plus intégré avec la scriblette. Des outils avec des fonctionnalités similaires existent sur le marché, les fameux MDM, mais dans un mode de fonctionnement maître-esclave inadapté à notre modèle économique.
2. Est-ce que le zéro papier avec la dématérialisation est possible ou comment voyez-vous la cohabitation des deux mondes dans une logique phygitale ?
Le zéro papier est une utopie. Faire une liste de course sur un morceau de papier sera toujours plus rapide et moins couteux que d’utiliser son téléphone avec ou sans stylet comme bloc-notes. Pour l’éducation, le papier est notre concurrent principal et aussi l’obstacle majeur à la transformation digitale de l’école : on n’a pas fait moins cher.
Pour illustration, la licence annuelle d’un manuel numérique oscille entre 5 et 7 €. Auquel il faut ajouter le matériel, une tablette en général, coutant 300 à 400 €. Par comparaison, un manuel papier coute 20 à 30 € amorti sur 6 à 8 ans. Le coût tombe à 3 à 5 €/an, ce qui est imbattable.
On voit tout de suite que l’argument du mal de dos fait peu de poids face au financement de la transformation digitale de l’école.
Les institutions ont dépensé des milliards dans les matériels qui finalement sont mal utilisés faute de stratégie. Le rapport PISA 2015 [1] insiste sur l’inutilité de ces matériels si l’acquisition des compétences en compréhension de l’écrit et en mathématiques ne sont pas garantis, tandis que le rapport de la Cour des comptes de juillet 2019 [2] pointent du doigt le manque de cohérence de stratégie éducative numérique. Des entreprises françaises de l’EdTech en pâtissent [3].
Les tablettes utilisées en cours sont une reproduction de la salle informatique de l’ère pré-iPad. Les élèves ne vont plus en salle, c’est la salle qui vient à eux sous la forme d’un chariot rempli de tiroirs contenant des tablettes.
En cours, le côté ludique l’emporte sur l’enseignement. Ça remotive et enthousiasme les élèves, Ce qui est très positif. Cependant, les élèves trouvent toujours des moyens de contourner les outils de gestion des tablettes. Par exemple, des élèves ont trouvé le moyen de créer un réseau social multicanal via le partage de la connexion Wi-Fi. C’est plus difficile avec du papier. Ce que je veux dire, c’est que le numérique force à changer la pédagogie. Les élèves deviennent plus autonomes et s’entraident naturellement. Cela nécessite du lâcher-prise.
Le phygital est en route et force à changer la pédagogie.
La Scriblette
en vidéo
https://www.youtube.com/channel/UC5GcFZjSHT-guCwaYxRn9bw
3. Comment voyez-vous le monde de l’éducation évoluer du côté des outils avec les solutions proposées par les GAFAM, les lobbyings potentiels et les autres acteurs ?
La situation des GAFAM dans les écoles aux États-Unis est très différente de celle en France. Aux États-Unis, Google a dépassé Apple : les écoles achètent plus de Chromebooks que d’iPad [4]. Minecraft de Microsoft est très utilisé [5]. En France, l’iPad et ses clones règnent. l’utilisation de Minecraft est timide [6].
Google, Apple et Microsoft proposent chacun des tarifs éducation pour attirer les enseignants et les collectivités territoriales dans leur écosystème. Cependant, le déploiement du Wi-Fi est à la peine et gêne autant les GAFAM que nos éditeurs scolaires nationaux.
Le cas typique est le déploiement de contenu dans les établissements scolaires qui constitue un défi majeur. Le téléchargement de tous les manuels numériques d’une classe de collège le jour de la rentrée scolaire représente 20 DVD, soient 90 Go. Même avec un serveur local à l’établissement scolaire, c’est impossible en Wi-Fi en un laps de temps aussi court.
Le lobbying d’acteurs économiques dans un pays comme la France est extrêmement difficile tellement les sources de financement institutionnelles et les instances de décisions sont éclatées (ville, département, région, pays). En un sens, cette organisation éclatée représente autant un frein aux lobbys qu’à la transformation numérique de l’école.
[2] Rapport Cour des Comptes sur la politique éducative numérique
[3] Bilan de l’expérimentation Galago
[4] Google écrase Apple et Microsoft dans les écoles américaines
[5] Utilisation de Minecraft dans les écoles
[6] Minecraft dans une école française
23 juillet 2019
Franck Poullain est l’inventeur de la scriblette. Il est également architecte des systèmes d’information bancaire et membre de l’association French Road. Son site autour de la scriblette.
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