L’année numérique 2019 : des GAFA aux GAFAMI : GAFami ou GAFennemi ?

Depuis 2009, je me livre à l’exercice de l’année numérique mais dans un registre différent et complémentaire de ceux adoptés par Olivier Ezratty et Frédéric Cavazza.

On pourra aussi relire les prévisions qu’Isaac Asimov avait effectuées voici 35 ans pour prédire 2019.

Sinon, les prévisions du Gartner sont plus faites pour un horizon à 5 ans que pour l’année qui vient. Rappelons que les prévisions à 1 an concernent principalement des attentes par rapport à des événements, produits et services dans les tuyaux. Néanmoins avoir une vision prospective à plus long terme (typiquement 5 ans) est intéressante y compris à très long terme avec des futurologues car avec le caractère zapping, le profit immédiat, les résultats à atteindre à court terme sur lesquels on est davantage jugés, on a moins tendance à se projeter et à développer une hauteur de vue.

Top départ de l’année numérique avec le CES de Las Vegas

Comme lors des années précédentes, la France sera bien représentée au CES de Las Vegas qui, du 9 au 11 janvier, ouvre l’année numérique avec 420 entreprises, à 90 % des start-up. D’ailleurs 57 entreprises françaises seront primées dont 13 dans les objets connectés et 11 dans la mobilité. Cette 51e édition du CES met l’accent sur la 5G et ses applications. Par ailleurs les innovations résultent souvent de produits ou de services qui sont une combinaison de plusieurs technologiques comme l’IA, la 3D, la réalité augmentée, le domaine de la robotique ou des drones. De nombreuses start-up sont positionnées dans la domotique. La start-up Havr par exemple permet d’ouvrir une serrure connectée depuis son smartphone. Un billet très complet sur les attentes du CES a été signé par Luc Bretones.

Signalons aussi en ce début d’année la parution du livre d’Antonio Casilli En attendant les robots. Dans ses travaux, il distingue le travail à la demande sous-rémunéré (chauffeur de type Uber), le micro-travail micro-rémunéré (de type Amazon Mechanical turk) et le travail social en réseau gratuit. Les exemples de fausses intelligences artificielles où en fait des humains font des micro-tâches sous-payées en collectant des données sont saisissants.

Brève rétrospective des moments forts de 2018

Cette année c’est crypto-monnaie qui a été élu mot numérique de l’année avec les médias qui font écho de nombreuses monnaies de type bitcoin alors même que la croissance est atone et en-deça de la zone euro. D’ailleurs depuis le 1er janvier 2019, on peut acheter des coupons de 50 euros et plus pour des crypto-monnaies (bitcoin, ethereum) chez les buralistes via la start-up KeplerK qui prélève 7 % dans l’opération (la question sera pour quel usage, sachant que même aux Etats-Unis la liste des enseignes qui acceptent le paiement par bitcoin reste limité). Suit assistant personnel, bien boosté par l’arrivée en France d’Amazon Echo pour rattraper Google Home alors même que la firme de Seattle avait été pionnière aux Etats-Unis. Des évolutions dans la recherche, davantage vocale, vont en découler et le SEO va s’adapter.

Le 3e mot est illectronisme. Cela raisonne avec le plan contre l’illétrisme numérique dévoilé par le Secrétaire d’Etat à la communication numérique, Mounir Mahjoubi. Il consiste à débloquer 75 à 100 millions d’euros étalés sur plusieurs années pour former 13 millions de Français au numérique. Faites le calcul ! 100/13 = 7,7 euros par citoyen… il sera ainsi formé plusieurs minutes. C’est ridicule. Le secrétaire d’Etat n’est pas à la hauteur de sa tâche et ce billet dans Contrepoints enfonce le clou.

Le numérique est présent partout au quotidien si bien que je parle d’holonumérisme. Les grèves de la SNCF notamment ont encore accentué le phénomène de nomophobie (angoisse d’être séparé de son smartphone qui est un véritable doudou numérique), le téléchargement d’App pour consulter l’état du trafic et de plus en plus de citoyens happés par leur smartphone qui n’interagissent plus entre eux dans la vraie vie. Le paradoxe est que sur smartphone sont utilisées des applications collaboratives alors que les utilisateurs sont en mode silo !

Génération smartphone

La RGPD entrée en application le 25 mai a eu pour conséquence beaucoup de changement côté CGU pour les sites. Les sites d’information notamment demandent des confirmations aux internautes lors de la première consultation avec un matériel donné. Concrètement, les utilisateurs ont finalement un clic de plus à opérer mais ne lisent pas davantage les CGU.

Le rapport Villani, consensuel mais sans grand scoop, sur l’IA a été remis. Et la question de l’impact de la RGPD sur le développement de l’IA en Europe mérite d’être analysée.

Côté événements, Vivatech s’impose comme le salon incontournable en Europe au côté du Mobile World Congress de Barcelone par exemple.

L’affaire Cambridge Analytica qui a éclaté a montré le côté sombre de Facebook avec l’exploitation des données personnelles via une application tierce. Ceci a permis des affichages sur le réseau social de messages de nature à influer sur la victoire de Donald Trump à la présidentielle américaine. 97 millions de comptes Facebook étaient concernés, l’action a chuté de 7 % à la Bourse de New York le 19 mars 2018, ce qui reste inférieur à la baisse d’Apple enregistrée ce début janvier 2019 pour résultats décevants de l’iPhone (10 % en une séance). Le fait d’avoir des messages qui font écho auprès d’un facebooknaute est très inquiétant quant à la possible manipulation de l’opinion. En effet, avec le « et en même temps » il est possible d’afficher sur la timeline de l’utilisateur le message auquel il sera le plus réceptif dans le programme d’un candidat ou voudra bien entendre. En France, nous vivons dans un contexte où il devient de plus en plus nécessaire de démêler l’information à valeur ajoutée, l’information standard et la fake news. L’affaire Benalla, qui n’est pas terminée, a eu pour conséquence le fichage de twittos via DisinfoEU et un doctorant avec création de profils d’internautes selon leur sensibilité politique. Ce type d’information est sensible au sens de la CNIL, laquelle a cette année fêtée ses 40 ans. La robustesse et l’actualité de la loi Informatique et liberté qui a su évoluer mérite d’être soulignée. La CNIL, autorité administrative indépendante qui en découle, constitue un garde-fou nécessaire alors que 1984 est de plus en plus présent. Ses moyens gagneraient à être accrus alors même que l’existence de certaines instances comme l’Hadopi pourrait être supprimée avec des effectifs redéployés. Outre la CNIL, l’ANSSI est également un acteur essentiel à renforcer.

Côté e-commerce, où l’on assiste à une plus grande maturité même s’il est difficile d’exister face à Amazon sans être différenciant et sur des créneaux de niche, on pourra se référer aux statistiques toujours pertinentes de la FEVAD.

En fin d’année, le Show Hello d’Orange fut un événement marquant où finalement l’opérateur historique a repris le lead en matière d’innovation alors même que c’était l’apanage de Xavier Niel avec Free. Celui-ci s’est reposé sur ses lauriers et plus focalisé sur les Ecoles 42, Station F en aidant l’émergence de start-up dont nous avons besoin. D’ailleurs Free a du mal à trouver un second souffle et perd des parts de marché sur sa box par exemple.

Google+ a été abandonné et plus que jamais le maître des réseaux sociaux est le groupe Facebook.

Des rachats spectaculaires se sont opérés, RedHat par IBM pour 34 milliards de dollars, GitHub par Microsoft pour 7,5 montrant le changement opéré par Satya Nadella et le virage open source de l’entreprise pour une plus grande agilité/réactivité.

Tendances et transformation digitale, encore du chemin à faire en 2019

Le nombre d’internautes va monter à 4,6 milliards laissant un peu plus de 3 milliards sans connexion sachant aussi qu’il convient de raisonner par rapport aux très jeunes non encore capables d’utiliser un équipement outre les laissés-pour-compte du numérique.

Alors que je militais dans mon premier ouvrage L’informatique pour un Capes et une agrégation d’informatique, une avancée essentielle semblerait voir le jour 20 ans après avec Jean-Michel Blanquer. C’est bon signe et saluons au passage le travail remarquable d’alerte de l’association Enseignement Public et Informatique. Il restera la transition à opérer et également prendre en compte l’enseignement des sciences du numérique plus précocement. Ceci ne veut pas dire qu’il faut oublier les matières classiques. Mathématiques et français sont les 2 piliers. Et comme pour le phygital où la combinaison du meilleur des mondes physique et numérique est la clef, nous avons besoin des disciplines traditionnelles au côté des nouvelles.

En 2019, on fêtera par ailleurs les 15 ans du Web 2.0 et une initiative conduite par Fadhila Brahimi et avec quelques figures historiques est en gestation. Nous vous en dirons plus prochainement.

Pour les tendances pour les médias sociaux, on pourra se référer au billet de Camille Jourdain qui s’appuie sur les 10 points soulevés par Kantar Media. On devrait assister à une progression d’Instagram qui continue à de s’enrichir fonctionnellement alors même que Snapchat reste difficile à appréhender pour les PME avec un ticket d’entrée coûteux.

Des outils et des App pour optimiser le temps passé sur smartphone et augmenter le RoI face à l’infobésité vont se développer avec une plus grande interopérabilité. On devrait connaître un essor des chatbots pour la relation client de 1er niveau.

Le futur règlement e-privacy en prolongement de la RGPD et qui fait la navette entre la Commission Européenne et le Parlement Européen va mettre une 2e couche qui est là pour rappeler que « Les Etats-Unis innovent (ou plutôt marketent), la Chine copie (et innove de plus en plus), l’Europe règlemente (et la France taxe) ».

Une tendance sociétale forte, outre celle des bons plans bien ancrés sur le web depuis plusieurs années, est celle d’optimiser son alimentation. On trouve en France des applications comme Yuka pour avoir des informations sur des produits alimentaires et cosmétiques en puisant dans des bases de données, Too Good Too Go pour limiter le gaspillage alimentaire ou encore Etiquettable, application collaborative pour la cuisine durable.

Nous devrions aussi avoir plus d’humain face à la course de la technologie. Etre technologiquement agnostique mais guidé par les usages porteurs de valeur est à garder à l’esprit pour les entreprises qui veulent performer dans leur transformations digitale : time is money. Ou les deux mon Commandant !

En matière de transformation digitale, le baromètre eCAC40 de Gilles Babinet permet de donner une vision macro de l’évolution d’une année sur l’autre sur les entreprises du CAC40 qui sont les plus dynamiques en la matière.

Il reste encore beaucoup à faire pour la transformation digitale et à tous les niveaux. Si les grands groupes sont pour une part croissante conscients de la nécessité, beaucoup reste à faire côté PME et côté de l’Etat… La comparaison des conseils de ministre en France et en Estonie reste édifiante dans les archaïsmes à la française où le parapheur et fax font encore recette.

Conseil des ministres, l'exemple de l'Estonie

Du reste, dans les prochaines semaines, le livre Transformation digitale 2.0 arrive profondément enrichi avec de nouveaux témoignages et des travaux issus de ma thèse de doctorat.

Et comme toujours les GAFA : ils deviennent GAFAMI ; Apple plus à la peine ; montée en puissance des BATX à venir

Les GAFA happent tout sur leur passage. On peut à présent parler de GAFAM voire GAFAMI (avec Microsoft et IBM) car les grands acteurs ne meurent jamais et Microsoft est depuis revenu dans la course (cf. supra). On voit très bien l’évolution sur 20 ans aux Etats-Unis dans les entreprises Internet dans le graphe qui suit (exit AOL, Altavista & co).

L'évolution des géants d'Internet en 20 ans

Quant à IBM, la transformation digitale de l’entreprise opérée en fait un acteur de pointe (IA et pas simplement avec Watson, cloud, informatique quantique, etc.) mais moins visible du grand public car positionné plus sur le B2B. IBM en misant sur l’IA, stratégique et qui préfigure le combat Etats-Unis vs Chine qui a déjà commencé et pour lequel la France est plus spectatrice qu’actrice, est revenu dans la bataille. A ce sujet, je vous invite à lire l’article Géopolitique de l’Intelligence artificielle : le retour des empires ? de Nicolas Miailhe dans Politique étrangère 2018/3.

La cyberdépendance à l’égard des GAFAMI est très forte. Un article de Siecledigital pointe le coût annuel estimé par l’internaute qui quitte Facebook !

Pour les acquisitions, rien que pour Google en 2018, Sigmoid Lacs (start-up indienne pour l’aide à la réservation de train), Onward (plateforme de développement de chatbots), Superpod (start-up ayant développé une App de questions-réponses), GraphicsFuzz (tests de sécurité et de robustesse des puces graphiques des smartphones), Cask Data (analyse big data sur site et dans le cloud), Velostrata (pour intégration dans Google Cloud Platform), Tenor (moteur de recherche de GIF animés), Lytro (photographie plénoptique pour la réalité virtuelle), Xively (Internet des objets), Reduc (transformation des écrans de smartphones en haut-parleurs avec retour haptique).

Apple reste à mon sens le plus fragile des GAFAMI. La firme de Cupertino est dépendante de son iPhone et son écosystème avec lequel elle réalise près de 2/3 de son chiffre d’affaires sans être du reste le smartphone leader sur le marché. La culture du secret et du marketing poussée à son paroxysme a ses limites comme analysé dans Made in Silicon Valley. La capitalisation boursière d’Apple dépassait les 1 000 milliards de dollars. Elle a pour l’heure perdu le tiers de sa valorisation. En 2019, la valorisation d’Apple devrait être inférieure à celle d’Amazon et même de Google. La situation des GAFAMI est excellente, ils ont du cash, peuvent racheter facilement à prix d’or de nombreuses sociétés. Toutefois elles ne sont pas à l’abri de fluctuation à la baisse de leur cotation boursière d’autant que 2019 pourrait être une année à krack boursier (et immobilier) 90 ans après la crise de 1929 car les indicateurs sont mauvais et les fondements des économies détériorés.

Le sujet de taxation des GAFA est à mon avis mal abordé avec le projet franco-français de taxe de 3 % du chiffre d’affaires. Pourquoi taxer le CA plutôt que les bénéfices ? Certes, il existe des techniques pour minimiser ses bénéfices et un mix entre chiffre d’affaires et résultats serait déjà plus acceptable car des entreprises ayant un CA conséquent peuvent être dans le rouge. Mais surtout la question n’est-elle pas celle du monopole ? Avec plus de 90 % de parts de marché de la recherche en France, Google laisse des miettes à la concurrence même si Qwant pourra glaner quelques points. La différence entre les Etats-Unis et l’Europe est que le numéro 1 est souvent leader avec beaucoup d’avance sur le deuxième alors qu’en Europe les parts de marché sont plus fragmentées. En outre, comme ces acteurs sont souvent monopolistiques, si l’Etat les taxe davantage – ce qui au demeurant est logique car tout ce que les GAFA ne payent pas sont des impôts payés par des TPE-PME qui représentent la croissance et les emplois de demain et n’ont pas d’optimisation possible et les particuliers, notamment les 43 % (!) des foyers qui payent l’impôt sur le revenu. Les GAFA pourront alors répercuter la taxation en une augmentation des prix, par exemple Google avec ses AdWords et AdSense pour l’achat aux enchères des mots clés car en situation de quasi-monopole. Finalement ce qui est récupéré d’un côté sera repris de l’autre, d’où la nécessité d’être disruptif et d’imaginer une autre solution pour que ce ne soit pas in fine le consommateur et les entreprises françaises qui payent plus…

En effet et au-delà, la question est plus celle de Luxembourg, plaque tournante de l’optimisation fiscale et du manque à gagner pour les Etats, ce qui se traduit en pression fiscale en milliards d’euros pour compenser le manque à gagner. Avec l’harmonisation souhaitable au niveau européen et le fait que des clés de répartition plus équitables seraient à déterminer, quand on songe par exemple que le siège européen de Google à Dublin est ridiculeusement petit par rapport aux emplois supposés.

Bâtiment siège de Google Europe à Dublin

La question, au-delà des GAFA et en élargissant aux NATU, est de savoir si Tesla va être absorbée car n’arrivant pas à accélérer le passage à la taille critique et accumulant les résultats dans le rouge ou si Uber peut faire faillite.

La Chine, pour sa part, voit les BATX s’élargir au BHATX en intégrant Huawei, géant des routeurs et des équipements qui est le 2e constructeur de smartphones derrière Samsung mais devant Apple. Jack Ma, l’emblématique co-fondateur d’Alibaba, va quitter ses fonctions cette année pour se consacrer à de la philanthropie comme en un temps Bill Gates avec sa fondation. Néanmoins Alibaba est sur de bons rails et le choc frontal qui se prépare avec Amazon sera sans merci.

Et vous, quelles tendances voyez-vous pour 2019 ?

2 Commentaires

    • Jean-Jacques sur 11 janvier 2019 à 22 h 49 min
    • Répondre

    Ha Ha… Ce n’est pas comparable. La Poste est présente partout sur tout le territoire en France avec des bureaux de poste, des centres de tri, de distribution. On voit les facteurs dans les villes et les villages. Et son chiffre d’affaires est réalisé en très grande majorité en France.
    Les GAFA sont des multinationales et sont présentes par exemple pour Google en Irlande sur un site à Dublin. C’est attractif fiscalement y compris de gonfler ses effectifs là-bas… https://www.clubic.com/internet/google/actualite-848595-google-choisit-irlande-bureaux-traitements-donnees-juste-rgpd.html

    • Vincent sur 9 janvier 2019 à 16 h 01 min
    • Répondre

    Quand je regarde une photo du 9 Colonel Pierre Avia, j’ai du mal à imaginer qu’on puisse y faire entrer 260.000 salariés, La Poste semble faire de l’optimisation fiscale.
    9 Rue du Colonel Pierre Avia, 75015 Paris

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