L’ICANN (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers) créé en 1998 régule notamment les noms de domaine sur Internet (.com, .fr, .net, etc.) et gère les serveurs racine.
L’accord historique, le Joint Project Agreement liant l’ICANN – organisme majeur pour la gouvernance d’Internet – et le département américain du Commerce a expiré le 30 septembre 2009. Il va évoluer en Affirmation of Commitment (AoC). Au-delà de cette évolution d’ordre juridique, on peut se demander quelles seront les conséquences d’un point de vue géopolitique d’Internet. Est-ce que cela constitue un pas vers plus d’indépendance de l’ICANN actuellement sous l’emprise étasunienne ?
L’Europe (et donc la France) milite en faveur d’un ICANN indépendant. Viviane Reding, le Commissaire européen en charge de la Société de l’Information et des Médias souhaite en tout cas une gouvernance d’Internet qui soit « plus démocratique, plus transparente et plus multilatérale ». L’idée d’un G12 pour la gouvernance d’Internet a été lancée en mai dernier avec des représentants pour chacun des continents.
Le nouveau président de l’ICANN Rod Beckstrom, nommé le 1er juillet dernier et qui a dirigé le Centre national de la cybersécurité (National Cyber Security Center, NCSC) des États-Unis, n’est, pour sa part, pas favorable à son autonomie. Selon le magazine The Economist, un nouvel accord serait prêt. Reste à savoir son contour. L’idée de commissions oeuvrant dans quatre secteurs est évoquée : la concurrence entre domaines génériques, la gestion des données par les détenteurs des noms de domaine, la sécurité et la transparence des réseaux, et enfin la responsabilité et la protection de l’intérêt commun. Pour cette dernière les États-Unis bénéficieraient d’une représentation permanente. On pourrait imaginer un modèle de gouvernance d’Internet à l’image de celui du
Conseil de Sécurité de l’ONU avec des États qui sont membres permanents et qui ont un droit de veto. Dans le nouveau positionnement de l’ICANN, il en serait de même avec les États-Unis. En revanche, l’AoC n’aura aucune influence sur le pouvoir qu’exerce le gouvernement américain sur la racine du nommage. Celui-ci ne sera pas remis en cause avant 2011 car le contrat liant l’ICANN à l’administration américaine via l’IANA (Internet Assigned Numbers Authority) expire à cette date.
On s’orienterait néanmoins vers un multilatéralisme avec l’Europe mais aussi la Chine, la Russie et les autres nations qui auraient droit au chapitre.
La prochaine réunion du forum de la gouvernance de l’Internet (IGF) se tiendra à Charm el-Cheikh en Egypte en novembre prochain. Elle permettra de réfléchir sur les liens entre IGF et ICANN.
Parmi les projets de l’ICANN notons la libéralisation des noms de domaine (on évoque des extensions comme .paris et .nyc) mais aussi la nouvelle gouvernance qui se prépare avec l’Internet des objets et l’ONS. L’Europe en matière de gouvernance d’Internet a sa carte à jouer pour contrebalancer l’omnipotence américaine.
2 Commentaires
@JFC Morfin
Merci pour cette analyse. Le diagramme du Monde est simplificateur et permet de fixer les idées générales. Il comprend néanmoins certaines imperfections, l’ICANN n’étant effectivement pas un organisme de régulation mais d’allocation des noms de domaine.
Il est vrai que la crise de l’adressage avec la pénurie d’adresses IP risque d’être mal perçue et que stratégiquement, le recul pris par les Etats-Unis peut être aussi une interprétation d’un certain recul pour ne pas être accusé de tous les maux.
Je note l’idée de coopération renforcée pour l’Internet du futur en ayant des commissions thématiques sur chacun des aspects : adressage, multilinguisme, etc. Si le siège pouvait symboliquement être à Bruxelles, à Strasbourg ou au sein d’une capitale européenne, cela marquerait un signe d’ouverture des Etats-Unis vers le monde et la prise de conscience que la géopolitique d’Internet ne doit pas être américaine mais multilatérale pour le bien de tous.
Comme souligné, l’ICANN d’un monopole marché devient une AOC. Elle peut s’amuser à faire ce qu’elle veut tant qu’il y a des gogos qui la paie pour pouvoir être sur le fichier du NTIA et que le NTIA le veut bien, et que « Le Gogo » ne lui reprend pas le manche devant le coût de ce qu’il rajoute au « DNS » nouvelle formule. Les USA supportent donc autant l’ICANN que la Chine supporte l’IGF.
Dans cette situation nous avons à considérer les choses sérieusement en fonction de _nos_ besoins réels :
– tansport des signaux – IUT avec un investissement radio et haut débit à encourager par les Etats et l’aide internationale pour que des pays ne soient pas satellisés par Google.
– transport des contenus – le développement du « post-IP » ne peut se faire que financé par les Etats mais vu la compétition des idées, ce n’est pas demain que cela aboutira
– transport des idées – cela nous regarde, mais bien entendu le « nous » peut-être aidé par l’Etat qui nous représente.
Je note que le diagramme du Monde fait un certain nombre d’erreurs. L’ICANN n’est en aucun cas un organisme de régulation; mais – en langage américain qui est sur ce point difficile à comprendre – de coopération rapportant à la « communauté ». Il n’y a aucune délégation de pouvoir des Etats-Unis. Il n’existe aucun pouvoir, mais un consensus mou (le principe même de toute la construction internet). Il n’y a aucune gestion du réseau par Verisign : par définition il n’y a pas de réseau, mais définition des fonctions d’entre-réseau. Le système judiciaire californien pose un problème intéressant puisque l’ICANN est aussi sensée avoir des établissements à l’étranger (on se demande bien pourquoi vu « son seul rôle technique réduit »), et que l’ICANN est une société en main morte, ce qui par exemple a été aboli en France par la nuit du 4 août 1789. On ne comprend pas bien pourquoi les organismes de normalisation du Web ont une importance particulière, pourquoi ils assurent la défense de quoi que ce soit, et se préoccupent de télécommunications.
Notre situation semble maintenant claire : les Etats-Unis gardent leur contrôle sur les aspects politiques de la gestion de l’Internet, se retirent de l’ICANN qui se cantonne à son petit business de noms de domaine, ni l’ICANN ni les Etats-Unis ne veulent paraître responsables de/dans la crise annoncée de l’adressage, l’ICANN n’est pas en charge de la gestion de l’émergence de la facilitation à l’utilisation, de la multilinguisation, et de l’évolution sémantique et de leurs retombées et besoins de concertation. Il appartient donc à ses initiateurs, c’est à dire les « @larges » (utilisateurs pilotes) de s’en préoccuper.
Il semble qu’une solution pourrait être une « affirmation of commitment » qui soit un peu plus concrête dans le sens d’un engagement de prise en charge de la part d’une organisation ouverte d’utilisateurs pilotes. Elle aura le même problème que l’ICANN pour gérer son ouverture tout en assurant sa cohérence : c’est le mécanisme de coopération renforcée défini par le SMSI comme devant être approfondi au sein de l’IGF et bloqué par l’ICANN.
Pour aider concrètement à l’évolution des esprits nécessaire, il me paraîtrait judicieux de désormais qualifier l’ICANN de coopération renforcée et d’en discuter la reproductibilité du modèle à d’autres secteurs de coopération internationale, relatif ou non à l’internet. Un thème qui pourrait être utile serait celui d’une coopération renforcée de l’Internet du futur qui regrouperait l’ensemble des projets de recherche et l’IETF, avec des coalitions dynamiques spécialisées se préoccupant de secteurs particuliers (sécurité, multilinguisation, routage, adressage, domaine privé, nommage, etc.) et reliées à l’ICANN par le glacis de ses Constituencies. Son siège en Europe permettrait d’assurer une symbolique rétablissant la réalité de la psuedo-paternité américaine du réseau international de transmission de données par paquets.