3 questions à … Jean-Claude Morand

Interview de Jean-Claude Morand

1. Quelles évolutions des flux RSS voyez-vous se dessiner ? Quel intérêt une entreprise a-t-elle de développer des flux RSS sur ses sites, dans sa relation en interne d’une part et avec ses clients et fournisseurs d’autre part ?

Depuis la publication de notre ouvrage, l’adoption des standards RSS n’a fait que croître. L’arrivée de Microsoft Office 2007 et l’insertion d’un agrégateur de flux dans Internet Explorer 7 facilitent grandement l’accès à ceux-ci. L’accès aux flux n’est plus un privilège réservé aux seuls geeks qui les utilisaient principalement pour ne plus avoir à ouvrir leur navigateur pour savoir si un nouveau billet était publié sur les blogs qu’ils suivent. Ainsi la grande majorité des sites d’offres d’emplois proposent maintenant un flux RSS qui permet aux personnes en recherche de s’abonner en fonction des profils de fonctions de plus en plus fin. Les attachés de presse ont également largement adopté cette approche pour diffuser les communiqués de presse qui sont de plus en plus souvent syndiqués par d’autres sites fédérateurs pour une industrie.

Dans le domaine du tourisme, il en est ainsi de nombreux offices du Tourisme qui voient ainsi leur information relayée non seulement par la presse écrite traditionnelle, mais aussi par une multitude de nouveaux médias. La mise à jour de cette information est de plus en plus souvent automatisée, augmentant ainsi sa qualité et la pertinence des sites qui la diffuse. Le coût de cette mise à jour est devenu un coût fixe de programmation de quelques lignes de code en lieu et place des opérations de recopiage des communiqués de presse du passé. Le troisième domaine dans lequel RSS a fait une réelle percée, en France en 2007 est celui de la veille et en particulier celui des petites annonces. Des sites tels que www.tout-partout.com, www.kitrouve.com, www.ebay.fr et bien d’autres permettent maintenant d’être automatiquement informé lorsqu’un bien correspondant à vos critères de choix est disponible sur leur site. Cela dit, les trois lettres de RSS reste encore un acronyme bien mystérieux pour nombreux français qu’ils soient cadres d’entreprise ou utilisateurs.

2. Comment l’e-marketing a-t-il évolué avec le Web 2.0 ? L’intelligence artificielle dans la connaissance des actions des internautes pourrait-elle devenir une alliée de l’e-marketing ?

En premier lieu, il convient de faire une distinction entre les aspects techniques couverts par le paradigme du Web 2.0 que j’assimile principalement aux technologies AJAX et les mutations engendrées par l’adoption des réseaux sociaux comme un outil de partage de la connaissance.

En ce qui concerne l’adoption d’AJAX et des widgets, je crois que nous n’avons pas encore vu d’application réellement basée sur ces technologies atteindre un seuil de diffusion qui permettrait d’affirmer que les concepts de marketing aient évolués soient-ils qualifiés d’un « e » quelque chose. De nombreuses start-ups cherchent leur voie et de nombreux prototypes de widgets sont développés essentiellement à des fins ludiques… en tout cas pour celles que j’ai vues jusqu’à présent. Certes, de nombreuses interfaces utilisateur s’en trouvent améliorées de par les nouvelles formes d’interaction et la réactivité utilisable avec les techniques de développement AJAX… mais je n’ai pas à l’esprit, d’applications qui aient créés une rupture dans les approches marketing. J’attends toujours l’émergence d’un vrai concept qui permettrait, à partir d’une widgetisation de plusieurs applications issues de plusieurs sources, de créer un nouveau produit, service ou canal de commercialisation. Ce n’est pas parce que je me concentre actuellement sur ce secteur, mais il me semble que l’industrie touristique présente un réel potentiel en ce domaine, car le nombre d’acteurs est très fragmenté et certains d’entre eux détiennent de réelles compétences en ce domaine tel que Voyage SNCF ou Google Maps. Je ne serais pas surpris de voir naître un écosystème granulaire touristique à l’initiative de l’un d’entre eux dans quelques mois afin de proposer une forme novatrice de package dynamique. Mais pour cela, il faut que tous les participants s’entendent sur une taxonomie commune et soient technologiquement, financièrement et d’un point de vue marketing à l’unisson… et ce n’est pas gagné !

En ce qui concerne les réseaux sociaux, et par extension, la génération de contenu par les utilisateurs (UGC – User Generated Content), je crois là que les consoacteurs que nous sommes tous, allons plus vite qu’un grand nombre de responsables du marketing accrochés à la gestion de leur budgets et aux techniques publicitaires off-line. Dans la foulée des eBay, Amazon, Tripadvisor, Venere, Vibeagent, nous sommes de plus en plus nombreux à nous exprimer sur le Net pour donner un avis sur nos expériences d’achats ou de consommation. Un vrai concept de C2C (consumer-to-consumer) est en train de naître à la faveur du développement des réseaux sociaux. Cela dit, j’observe chaque jour un élargissement du fossé numérique entre ceux qui savent, consultent et utilisent ces avis avec les orthodoxes du marketing dictatorial des marques qui prétendent encore être les seuls à être capables de communiquer sur leurs produits… comme si les utilisateurs que nous sommes n’utilisaient jamais leurs produits. Nous assistons à une mutation des concepts de la communication au sein des départements du marketing avec son cortège d’incompréhension, de frustration et de points de vue sans partage.

Pour l’intelligence artificielle, je suis absolument d’accord, je rêve de cela depuis que je me suis intéressé à l’intelligence artificielle dès la fin des années 1980. Avec la généralisation de l’utilisation d’XML dans la programmation, nous développons très lentement des taxonomies qui permettent déjà d’interpréter des situations non descriptives. J’essaye dans certains cours de marketing avancés d’expliquer le concept de folksonomy à des managers… ce n’est pas évident lorsque ceux-ci n’ont pas eu la curiosité de se créer une liste de tags sur Digg.com ou del.icio.us, pourtant je crois que nous sommes là aux portes du web sémantique. Cela sera sans aucun doute l’une des grandes avancées du marketing dans les dix prochaines années. Pour le lecteur qui en douterait encore, je l’invite à regarder ce qui se passe dans le domaine du traitement des CV en ligne par les grands recruteurs qui appliquent les techniques du Search Engine Marketing (SEM) pour effectuer un rapprochement entre le profil des candidats et celui des offres d’emplois. La conséquence de cette approche est que les CVs comportent maintenant une nouvelle section : « Keywords » comme l’est la description de fonction. Le rapprochement s’effectuant sur la base de ces critères. Vous retrouvez cela aussi bien dans le moteur de recherche de LinkedIn.com que dans les profiles enregistrés sur Ziki.com. La pertinence du rapprochement prenant en compte le nombre d’occurrences des mots clefs ainsi que tous les autres paramètres que l’on retrouve dans les algorithmes de la sémantique et des moteurs de recherche. Cette forme de rapprochement entre l’offre et la demande est si usitée qu’elle fait aussi l’objet de publications permettant aux candidats et aux employeurs d’affiner la sélection des mots clefs et donc d’améliorer leur chance de trouver l’emploi ou le candidat idéal.

À partir de l’instant où le besoin de consommation peut être taggé avec des balises qualificatives, le rapprochement des consommateurs avec les produits en sera d’autant plus aisé. N’est-ce pas là un des fondements du marketing ? Les programmes d’intelligence artificielle seront alors chargés d’évaluer les quantités, la fréquence, la pertinence des rapprochements afin que ceux-ci apparaissent le moins intrusifs possible aux acheteurs potentiels. Les entreprises qui auront les compétences pour acquérir, qualifier et traiter ces données gagneront indiscutablement des parts de marché.

La popularité – encore relative par rapport à l’ensemble de la population – de Secondlife contribue une nouvelle fois à vulgariser l’utilisation des avatars (une première expérience avait été lancée par Canal + sous le nom de Deuxième Monde il y a quelques années). Ces avatars pour l’instant uniquement pilotés par les utilisateurs peuvent acquérir un peu de mémoire et d’intelligence toujours en utilisant les bases d’XML couplées à AIML (Artificial Intelligence Meta Language) comme le fait une société française netsbrain.com.

3. Vous êtes à la pointe du e-tourisme. Que pensez-vous de sites comme Expedia, Opodo ou Lastminute ? Avec la participation des internautes à l’évaluation des prestations hôtelières et des séjours, et notamment le concept de génération du contenu par les utilisateurs (UGC), quelles sont les perspectives du « Travel 2.0 » et quels exemples pourriez-vous nous donner ?

Les agences de voyages en ligne (OTA – Online travel agency) comme Voyages-SNCF, Expedia, Opodo ou Lastminute sont assurés d’un avenir florissant même si nous commençons déjà à assister à une concentration sur ce secteur. Les moyens financiers et techniques à mettre en œuvre maintenant sont colossaux. Expedia a ainsi annoncé des investissements à hauteur de 39 Millions de $ pour le premier semestre de son exercice soit environ 70 millions de $ en année pleine. Cet investissement venant en supplément d’une opération de rachat d’actions pour près de 60 millions de $ soit avec quelques autres investissements un peu plus de 128 millions de $ pour six mois ! Quelles sont les entreprises qui peuvent suivre ? Une partie de cet argent est aussi utilisé pour développer les fonctions de Tripadvisor sa filiale dédiée à l’évaluation collaborative des prestataires touristiques qui vient d’être lancé en France. Ce n’est pas moins de 10 millions de revues et d’opinions qui sont enregistrées sur ce site. Dès lors, il n’est pas étonnant que cette firme revendique plus de 6 millions de membres générant 20 millions de visiteurs uniques sur les différentes versions de TripAdvisor.

Toutefois, il me semble que nous assistons à une décomposition de la « supply chain » des UGC. En clair, des sites se spécialisent sur la collecte de l’information, d’autres dans l’utilisation du contenu principalement sous forme de modèles d’affiliation se faisant payer en fonction des transactions générées et enfin d’autres dans la diffusion de ces informations en s’appuyant sur les modèles publicitaires. Avez-vous visité récemment le site de Google Maps et cherché un hôtel dans votre ville ? Si vous ne l’avez pas fait, je vous invite à le faire et à jeter un œil attentif aux évaluations que vous trouverez à propos de cet hôtel. Vous observerez que si certaines ont bien été saisies par l’intermédiaire du site de Google, d’autres proviennent d’origines très diverses. J’ai dénombré une trentaine de sources différentes selon les pays et il ne s’agit pas d’une liste exhaustive. Sachant que Google lance aussi des formules de paiement à la transaction, je ne serai pas surpris de voir le géant du Net devenir aussi une super agence de voyages. Mais, en préparant mon prochain ouvrage dont le titre provisoire est « Travel 2.0 », je découvre chaque jour une nouvelle start-up qui lance une innovation et je ne vous cache pas, que malgré le temps consacré à cette recherche, j’ai un peu de mal à suivre le rythme des annonces !

1er septembre 2007

Jean-Claude Morand est l’auteur principal de « RSS, Blogs : un nouvel outil pour le management » chez M2 Editions. Il anime le site Cyberstrat. Après 10 années passées au siège européen de Digital Equipment, il a évangélisé ses collègues de STMicroelectronics en qualité d’e-Marketing Innovation Manager. Jean-Claude Morand intervient pour de multiples conférences internationales et universités européennes dont l’Université de Savoie sur le thème du e-Marketing et la HEG de Genève. Il est à l’affût de toute opportunité pour œuvrer pour la stratégie d’un acteur majeur du e-tourisme ou une entreprise voulant développer un e-marketing agressif.

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