1. Comment jugez-vous les applications de visioconférence aujourd’hui ? Celles-ci ont pris un essor considérable avec le télétravail qui connaît un boom avec le confinement que nous vivons.
Franchement je trouve les applications de visioconférence superbes ! Il faut quand même se souvenir qu’on est partis de NetMeeting et des installations à plusieurs millions d’euros que seules les grosses multinationales pouvaient se permettre. Ça ne marchait jamais et personne ne pouvait s’en servir. Aujourd’hui notre préoccupation principale est de savoir si on a mis le mot de passe ou si nos données sont bien protégées. Avec le Covid-19, tous les travailleurs de la connaissance ont pu continuer à travailler en situation de confinement sans presque aucune interruption.
Et les bénéfices de ces applications sont pour tout le monde ! Moins de temps perdu dans les transports et plus pour consacrer à nos vies personnelles. Moins d’argent à payer en immobilier pour les entreprises. Un marché du travail distribué sur l’ensemble du territoire y compris en zones rurales et non plus limité aux seules métropoles. Moins d’émissions de CO2. Moins d’embouteillages en villes.
Je trouve que c’est un progrès formidable.
2. On parle beaucoup de Zoom et de Teams de Microsoft. Quelles sont les innovations fondamentales apportées par Jitsi notamment côté protocole et développement en open source avec des composants intégrables facilement ? Que pensez-vous de cette affirmation « Jitsi est à la visioconférence ce que MySQL a été pour les bases de données » ?
Je trouve cette formulation séduisante :). Très flatteuse. Je pense qu’on se rapproche quand même plus de ce que WordPress a été pour les sites à contenu dynamique. Vous récupérez un composant qui marche « out of the box » mais qui reste configurable et flexible.
Dans le cas de Jitsi, ce qui est intéressant est la facilité d’utilisation et la sécurité. Vous n’avez pas de téléchargements à faire et pas de comptes à créer. Vous cliquez sur le lien et vous entrez dans la conférence. Et puis en termes de sécurité vous avez la possibilité d’activer le chiffrement de bout en bout. Donc même si vous n’êtes pas capables d’héberger votre propre serveur, vous êtes quand même en confiance absolue.
3. Comment pourrions-nous simplifier les processus de création de start-up en France, la recherche de fonds et la simplification pour les aides allouées ? Est-ce que la sous-traitance dans les pays à main-d’œuvre moins onéreuse est une solution pour se développer ou est-ce que la crise pourrait redistribuer les cartes ? Enfin, comment l’État français pourrait éviter la fuite des cerveaux en France par rapport à votre propre expérience de rachat de Jitsi et d’installation au Texas ?
En matière de simplicité, déjà il faut se mettre d’accord sur ce que cela signifie. Pour commencer je dirai qu’il faut enlever toute friction à l’entrée. La création d’une société devrait être aussi simple que de créer un compte PayPal, devenir conducteur Uber (version originale 😉 ) ou monter une location Airbnb. Ensuite, une fois dedans tout votre cerveau doit être disponible pour se concentrer sur la rentabilité. Idéalement il n’y aurait pas besoin à se soucier des contrats de travail et des déclarations d’impôts. Donc tout doit être possible de façon complètement automatisé. Même si l’automatisation n’est pas de la responsabilité de l’État, la législation devrait la rendre possible… et ceci sans se retrouver à l’arrivée avec un véhicule bridée comme le statut d’autoentrepreneur.
Il ne s’agit pas là de moins contribuer en impôts ou charges mais simplement de ne pas avoir à passer du temps dessus puisque les activités administratives ne sont pas le cœur de métier de la start-up.
Pour les questions financières, la France dispose d’outils très généreux sur le financement des start-up. Citons le crédit d’impôt recherche (CIR), le statut jeune entreprise innovante, le concours des créations d’entreprises innovantes et j’en passe. Le souci évidemment est que l’utilisation de ces outils nécessite un investissement en temps … monstre :-). Et puis vous avez les effets négatifs comme par exemple le fait que l’exercice du CIR augmente considérablement le risque d’un contrôle fiscal qui implique plusieurs mois de perdus pour les dirigeants des petites entreprises et qui sont quand même extrêmement anxiogènes. J’espère que là aussi l’automatisation et l’innovation permettront d’arriver à des solutions plus simples.
Sur le droit de travail, la facilité d’interrompre des contrats de travail aiderait beaucoup aussi. Quitte à payer plus en assurance chômage. Le manque de flexibilité à ce niveau pousse les entreprises à embaucher à l’étranger plus que le coût du travail même je trouve… même si ce point n’est pas à négliger non plus.
En ce qui concerne la fuite de cerveaux, la solution consisterait plutôt à faciliter la même chose en sens inverse. L’acquisition de sociétés se fait à une échelle mondiale et en général le choix pour les grands groupes est souvent ramené à quelques petites entreprises aux quatre coins du monde. On cherche toujours le meilleur « fit » et se soucier de son origine géographique serait complètement contre-productif.
Ce qu’il faut donc chercher à faire au niveau de la France c’est de s’assurer que les sociétés françaises importent le même nombre de cerveaux que ceux qui sortent.
Telle est ma vision.
11 mai 2020
Emil Ivov, fondateur du projet Jitsi et actuellement en charge de la communauté jitsi.org. Il est également chef de projet pour la collaboration vidéo chez 8×8.
Emil a obtenu un doctorat en informatique et communication temps réel à l’Université de Strasbourg, est responsable des extensions pour ICE (Trickle ICE) pour WebRTC, interface de programmation JavaScript développée au sein du W3C et de l’IETF.
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