1. Vous êtes multi-casquette et passionné d’aviation. Comment est née l’idée d’AIRPROX ? Quels sont les principes fonctionnels de la solution et sur quoi repose-t-elle techniquement ? Est-ce que la solution participe à la sécurité aérienne et comment ? Avez-vous des brevets ?
C’est en prenant des cours de pilotage, lors de discussions avec mes instructeurs, que l’idée du système AIRPROX m’est venue. Geek de formation scientifique, j’apprécie de me « creuser la tête » pour trouver des solutions aux problèmes. Ici, après avoir visité la tour de contrôle de l’aérodrome de Saint-Cyr l’Ecole et accompli quelques heures de vols, j’ai constaté que malgré l’image technologique véhiculée par le milieu aérien, l’aviation générale restait un parent pauvre pour le pilote occasionnel. Il m’est alors apparu utile de trouver une solution simple pouvant remplacer les jumelles et les « papers-strips » des contrôleurs aériens pourtant confrontés à un trafic important lors des week-ends d’été et apporter simultanément un surcroit de sécurité au pilote évoluant dans cet environnement.
La solution AIRPROX, originellement imaginée pour fournir une aide à la prévention des collisions en aviation générale dans les zones à forte densité de trafic et à faible altitude (aérodromes, balises de radionavigation et sites touristiques) repose sur l’utilisation de technologies 2.0 visant à fournir un système de radar virtuel intelligent à ses utilisateurs sans avoir à installer une infrastructure lourde et onéreuse. Le système récupère sur les mobiles ou dans l’environnement des informations parmi lesquelles la géolocalisation, digère les informations brutes dans le cloud et fournit une information pertinente et intelligible aux utilisateurs, comme une image radar virtuelle pour le contrôleur ou des alertes de proximité ou de risque de collision pour le pilote. À l’origine d’ailleurs, le système était conçu pour utiliser comme balise un téléphone ou une tablette (beaucoup de pilotes privés utilisent un iPad pour remplacer les encombrantes cartes papier officielles). Néanmoins, à l’usage avec les premières itérations, il est apparu que pour investir des marchés plus critiques il était nécessaire de changer de support. Nous avons donc développé avec un partenaire spécialiste de l’électronique sur mesure malouin notre balise spécifique nom de code ALDRIN (parce que nous étions sûrs que ce produit allait faire du buzz). ALDRIN peut s’installer et se configurer pour un véhicule en quelques minutes ce qui permet d’envisager une utilisation transitoire (par exemple sur un véhicule de chantier qui pénètre le matin sur un site protégé et en sort le soir). C’est un système très simple incluant un capteur GPS de haute précision, un modem et un système universel de connexion pour acquérir des données sur le véhicule. Il fonctionne de manière transparente vis-à-vis des données à acquérir, ce qui permet d’avoir une seule référence pour l’ensemble des clients, conformément à notre idéal de simplicité et de flexibilité.
Dès son origine, AIRPROX a été conçu pour apporter un surcroit de sécurité aux membres de la communauté de l’aviation générale en enrichissant leur expérience situationnelle, sans malgré tout perturber leur mode de fonctionnement habituel. AIRPROX apporte une information supplémentaire, sans se substituer aux règles fondamentales telle que « voir et éviter ».
L’originalité du concept nous a permis de procéder à un dépôt de brevet via l’USPTO dans le cadre du PCT, ce brevet est à l’heure actuelle en cours d’instruction.
2. Est-ce que votre solution peut avec la géolocalisation avoir d’autres cas d’usage dans des domaines variés et pourquoi ? Quels sont vos concurrents à date et en quoi votre positionnement est différent ? Enfin quelle est votre stratégie pour passer à l’échelle ?
AIRPROX est bien plus qu’une simple solution de géolocalisation. En réalité, la géolocalisation n’est qu’une information parmi les différentes données que notre système peut traiter. Nous avons conçu l’ensemble de l’infrastructure, de l’utilisateur aux serveurs un peu à la manière d’un jeu de LEGO, ce qui nous permets très facilement, et à moindre cout de faire évoluer le système pour atteindre de nouveaux marchés ou satisfaire ne nouveaux besoins chez nos clients. À ce titre, AIRPROX peut être utilisé également pour la gestion avancée de flottes de véhicules captifs, comme par exemple les véhicules de servitude aéroportuaire. C’est ainsi que nous débutons au début de l’année prochaine, avec notre filiale AIRPROX Systèmes, Inc. (créée pour l’occasion), plusieurs projets avec les aéroports de Montréal visant à améliorer l’exploitation de leur flotte de bus passager d’une part et apporter une plus-value scientifique à l’expérience des équipes de déneigement dans le but d’améliorer les coûts et l’efficacité de ce délicat exercice d’autre part. Parallèlement, nous travaillons avec plusieurs prospects issus de domaines aéronautiques et autres à la définition de solutions parfaitement adaptées à leurs besoins, certains dans des domaines critiques qui ne nous permettent pas d’en dire plus ici.
Bien que nous ne sommes pas les seuls à œuvrer dans ces domaines (il existe un certain nombre d’acteurs important sur ces marchés), il nous apparait que notre solution présente plusieurs avantages majeurs. Nous ne sommes pas à l’origine une société d’ingénieurs, ce qui nous a sans doute amener à considérer le problème sous un angle différent et à ne pas produire un « produit d’ingénieur » mais un système simple à mettre en œuvre, à développer et à maintenir et offrant des couts d’installations et de fonctionnements encore inédits sur les marchés visés. Par ailleurs, la flexibilité et la simplicité du système permette une mise à l’échelle technique extrêmement aisée, facilitées notamment par l’absence d’infrastructure en propre (utilisation des réseaux de communication existants, serveurs hébergés chez un acteur cloud majeur…). Nous avons par ailleurs adopté une approche dite de bon père de famille visant à un fonctionnement économique maîtrisé de la société, sans nous disperser dans le déploiement soit en développement d’équipes pléthoriques ou dans des en dépenses inconsidérées (en communication, marketing, voyages…).
La création et l’évolution d’AIRPROX s’est basée sur l’expérience « start-up » de son directeur général, Christophe Pavlevski et partant du postulat que dans le domaine industriel, il était compliqué d’attirer des investisseurs uniquement avec une idée, un concept défilé au long d’un diaporama PowerPoint. Ainsi, nous avons commencé par consulter, au sein de notre réseau, des personnes expertes dans nos domaines afin de valider l’idée en développant parallèlement un prototype simple (MVP) beaucoup plus proche de la planche de bois de Roland Moreno que d’un produit utilisable pour valider la faisabilité technique. Par la suite, nous avons débuté le développement du produit proprement dit et lancé un processus de recherche d’investisseurs et de soutien auprès de la Banque Publique d’Investissement. Depuis la création d’AIRPROX, nous avons ainsi levé près d’un million d’euros auprès de particuliers amis ou particuliers « investisseurs avertis » qui ont adhéré au projet et à l’équipe. Depuis le début 2019, nous avons un produit prêt à être commercialisé et nous avons pu entreprendre les démarches de recherche de client proprement dite comme exposé plus haut. A l’avenir, muni de preuve de marché, nous allons nous tourner vers la recherche d’investisseurs de référence de manière à pouvoir assurer le développement et la croissance de notre entreprise.
3. Comment jugez-vous l’écosystème de l’innovation en France ? Est-il encore émietté ou la montée en puissance de BPI France et le label French Tech vont-ils dans la bonne direction ? Est-ce que vous pensez incontournable pour une start-up comme la vôtre d’avoir un bureau commercial aux Etats-Unis pour atteindre la taille critique ?
Bien que de nombreuses structures et organisations existent en France pour accompagner, aider et promouvoir l’innovation en France, force -nous est de constater qu’à l’exception de la BPI, il est très difficile d’accéder à des aides efficaces. Le constat est d’autant plus malheureux lorsque comme nous, le ou les marchés visés ressemblent, pour celui qui ne creuse pas, à un marché de niche. De nombreuses fois, nous nous sommes dit « On aurait mieux fait de développer une App ! ». Par ailleurs, il nous apparait qu’à l’exception d’aides distribuées à doses homéopathiques, une start-up ne peut pas bénéficier d’aides suffisantes si elle n’a pas déjà atteint une taille critique. N’ayant jamais voulu vendre un PowerPoint, nous l’avons appris à nos dépends.
Malgré tout, il existe un écosystème de l’innovation en France qui pourrait, selon moi, fonctionner de meilleure manière avec quelques simples améliorations de bon sens. En effet, la rédaction d’un dossier d’aide BPI par exemple est un véritable travail à plein temps, qui, dans une petite structure comme la nôtre par exemple (trois salariés à date), nécessite une mobilisation importante, au détriment du développement produit. Par ailleurs, il existe une multiplicité d’aides telle qu’il est difficile de trouver celle qui correspond au besoin de l’entreprise. De ce côté, la mise en place de guichets d’aide, d’ateliers, un peu à la manière de ce qui se fait dans les services des impôts aux périodes de déclaration à destination des personnes en situation de handicap numérique pourrait aller dans le bon sens. De manière générale, nous constatons un déficit d’information qui ne permet pas aux jeunes entrepreneurs d’aller vers le bon interlocuteur.
Au-delà de l’aspect obtention des aides et ou financements, il existe toujours en France, et ce, malgré les déclarations enjouées de nos gouvernants, une défiance vis-à-vis des jeunes pousses qui leur bloque de manière quasiment absolue l’accès aux marchés publics. Dans le cas d’AIRPROX, bien que bénéficiant d’un réseau relativement étendu, notre premier vrai contrat est signé outre-Atlantique… Cela se passe de commentaires.
C’est un mal bien français ! Nous n’avons pas de culture du risque par comparaison aux anglo-saxons par exemple. Pourtant, nous sommes attachés à rester une entreprise française, qui utilise des sous-traitants français (ce que nous avons toujours fait jusqu’alors), vœu bien difficile à respecter quand ici, nous sommes contactés par des investisseurs ayant pourtant pignon sur rue qui nous proposent d’investir 5000 € (véridique !) tandis qu’aux Etats-Unis, pour notre filiale AIRPROX USA, Inc. (créée notamment le dépôt de brevet via l’USPTO), notre cabinet de conseil envisage des investissements de plusieurs millions auprès de family office… Nous pouvons abusivement nous proclamer start-up nation, certes, mais il faut que tout le monde y mette du sien, les entrepreneurs (et ça, c’est fait) et les investisseurs !
5 décembre 2019
Mathieu Derbanne, président-fondateur d’AIRPROX.
Chirurgien-dentiste pédiatrique pendant 15 ans, docteur en génie chimique et développeur autodidacte, passionné par les engins volants, Mathieu Derbanne a fondé AIRPROX SAS en juillet 2014.
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