La Chine numérique s’est éveillée : vers un combat digital entre Etats-Unis et Chine ?

Conférence Innovation en Chine et réflexions qui en découlent

Une conférence avec des directeurs de l’Innovation s’est tenue au Centre Culturel de Chine à Paris. Un mix entre rapport et réflexion suit. La Chine avait la taille critique. Désormais elle innove comme au temps de sa splendeur avec la boussole, la poudre à canon, l’imprimerie, la soie, la porcelaine : les grandes innovations de la Renaissance viennent de Chine. Elle est à présent numéro 1 pour les dépôts de brevets au monde, ce qui ne préjuge toutefois pas de la qualité, l’objectif étant déjà d’assurer la quantité. L’innovation est devenue une priorité aussi bien pour la Chine que pour des entreprises étrangères actives en Chine (par exemple fabrication des iPhone à Shenzhen). Ainsi le 13e plan chinois (2016-2020) est focalisé sur l’innovation. La part consacrée à la R&D par citoyen est à présent la plus importante dans le monde.

Marc Giget, Président du Club de Paris des Directeurs de l’Innovation, présentait entre autres intervenants les enjeux et les perspectives de l’innovation chinoise.

Les BATX se profilent à l'horizon : menace pour les GAFA ?

Voici les quelques réflexions à avoir présentes à l’esprit à l’heure où Alibaba va ouvrir une 2e plateforme en France alors même qu’Amazon avait inauguré un nouveau centre dans la Somme. Les BATX (Baidu Alibaba Tencent Xiaomi) pèsent pour l’heure plus sur leur marché domestique et l’Asie alors que les GAFA se focalisent essentiellement sur l’Amérique et l’Europe. Mais comme lors de la période de colonisation de l’Afrique par le Royaume-Uni et la France, les chemins vont se croiser entre les Etats-Unis et la Chine sur des terres attractives rivales. L’emblème de cette exportation chinoise dans le numérique se matérialise par Alibaba. Il est déjà possible de commander des produits en France via cette plateforme avec des produits 2 ou 3 fois moins chers pour beaucoup et des droits de douane (ou non) selon les circuits empruntés.

La dimension culturelle à intégrer

« Une expérience avec la Chine devient une aventure humaine et culturelle » indique Christine Cayol, avec la dimension culturelle qui est très importante dans les relations que l’on peut nouer avec la Chine notamment sur le long terme. La notion du temps s’inscrit dans une perspective sur le long terme alors même que le court terme prévaut dans les sociétés occidentales et plus particulièrement aux Etats-Unis où le diktat du « profit warning » conditionne le fonctionnement de beaucoup de sociétés.

L’ « innovation est une expérience de création mais aussi de destruction, c’est l’épreuve du feu » renchérit Christine Cayol. La question du climat (ambiance, bureau, humain, détente et tension, culturel, politique) a été évoquée comme facteur d’émergence de l’innovation. Ceci vient accréditer la notion des campus « à la Google ou Facebook ».

Comme aux Etats-Unis, il convient de s’inspirer, alors que les systèmes deviennent complexes, du rapport aux tests, aux détours. L’erreur fait partie du processus de création. C’est apprendre en marchant avec la logique de PoC (Proof of concept) comme mentionné dans Made in Silicon Valley.

« L’immobilité et la rapidité, c’est la clef » à l’image des postures de tai chi avec respiration, réceptivité où l’on jongle avec les temps.

La Chine, c’est aussi 5 siècles de culture du réseau. Ce n’est pas un hasard si les gens se retrouvent avec WeChat. A 85 ou 90 ans on utilise WeChat car c’est pratique. L’important est d’être en relation avec un outil et transcende la question de générations. Même les SdF qui mendient ont un QR code, c’est dans les gênes chinois, l’immédiateté, le climat profondément humain. AliPay est un système de paiement simple. La Chine devient progressivement le 1er pays sans argent liquide et après avoir inventé le billet de banque, elle va peut-être être la première nation à le voir disparaître. Pour bénéficier d’outils pratiques et d’usages qui en découlent, alors qu’en Europe on se méfie de l’exploitation des données personnelles ce qui dans certains cas peut être un frein à l’innovation même si cela permet des gardes-fous, aux Etats-Unis, les données sont exploitées et monétisées (Big Brother commerciale) et en Chine, c’est l’oeuvre du Gouvernement avec le bouclier doré (Big Brother étatique).

Marc Giget souligne que « Les problèmes naissent en Chine, les solutions aussi » avec une coopération forte avec d’autres nations.

Le péril jaune numérique et les opportunités pour co-créer avec l’Empire du milieu

La volonté de la Chine de peser sur la scène numérique est réelle. Leur objectif est de contrôler la moitié du marché domestique hi-tech. Le financement des start-up en Chine est 22 fois en valeur celui de la Silicon Valley (1,38 milliard d’habitants vs 3 millions à titre de comparaison soit un rapport de 1 à 460) avec des incubateurs un peu partout. Il existe des particularités pour l’innovation en Chine. Elle est plus sur le terrain, sur les coûts (inclusive pour tous), avec une adaptation fonctionnelle aux attentes utilisateurs. L’innovation est ainsi très rapide, très variée et multi-produits. C’est aussi l’art de la recombinaison entre ancien et moderne avec une création de valeur dès le départ. La fascination des Chinois pour le futur est réelle comme pour les Américains qui ont pour leur part une histoire vieille de 2 siècles et demi seulement.

L’e-commerce est totalement intégré en Chine (avec le « Single day » équivalent du « Black Friday » aux Etats-Unis) et 50 % de la part mondiale.

Alibaba, qui met en relation des acheteurs et des vendeurs façon eBay, comprend AliExpress pour la vente de gros et au détail tant pour les entreprises que les particuliers à l’international, AliPay, etc. Le 1er entrepôt a été ouvert en France par Alibaba en août 2017 afin de réduire les délais de livraison. Alibaba qui ne fait pas de distribution contrairement à Amazon (mais les temps sont en passe de changer) présente un chiffre d’affaires bien plus faible mais des bénéfices plus importants.

En matière de transport, il existe des opportunités pour la Chine à Paris. C’est la première ville au monde pour les taxis du fait du tourisme. Et une bataille Etats-Unis / Chine se profile avec Uber (qui a été détrôné par Lyft à San Francisco) vs Taxify. Pour leur part les Ofo et Gobee.bike arrivent à Paris et reposent sur des applications sur smartphone.

La Chine excelle dans les grands chantiers. Quand la décision prise et quand les temps sont venus, l’exécution est très rapide comme aux Etats-Unis. Par exemple, le plus grand télescope du monde est chinois et succède à celui d’Hawaï. L’équivalent du TGV en Chine a connu une accélération sans précédent avec 22 000 km de voies (vs moins de 10 000 en France). La Chine est en train de bâtir les nouvelles routes de la soie (les premières se terminaient à Lyon, ce qui avait été bénéfique pour la capitale des Gaules) en posant progressivement ses pions même si cela apparaît moins ostentatoire pour la vieille Europe que ce que font les GAFA qui, pour leur part, excellent dans le lobbying.

Les Chinois ont commencé à avoir des chiens, à se préoccuper de l’environnement (Golden week à Shenzhen), à avoir des citoyens obèses comme aux Etats-Unis. La Chine veut gérer sa transition écologique. Un urbanisme vert par rapport à la pollution des grandes villes se développe (par exemple éco-cité de Tianjin, programme commun avec Singapour). La Chine se métamorphose avec le numérique même si comme le Japon sa population vieillit avec d’autres enjeux à relever.

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