1. Le guide des start-up que vous éditez chaque année est devenu un grand classique. Comment expliquez-vous ce succès et que nous réservez-vous comme innovation pour 2016 ?
J’ai créé le Guide des start-up en 2006 pour répondre à un besoin qui se faisait sentir dans l’entrepreneuriat français du numérique : disposer d’une base consolidée d’informations pratiques sur les bonnes pratiques de création de start-up et sur les moyens de se faire accompagner : incubation, financement et services. Le tout en mode « open source » et contributif. 10 ans plus tard, il va arriver à sa vingtième édition qui s’améliore d’année en année en tenant compte de l’évolution de la richesse de l’écosystème entrepreneurial français.
Le Guide est probablement apprécié par son côté indépendant. Il n’a jamais été sponsorisé par qui que ce soit, ce qui lui permet d’avoir une forte indépendance éditoriale. C’est quelque chose d’apprécié en général. Les entrepreneurs n’aiment pas trop la langue de bois !
Enfin, en général, ce qui est gratuit n’a pas beaucoup de valeur et ce qui a de la valeur est cher. Ici, vous avez beaucoup de valeur et c’est gratuit. Cela explique la grande diffusion du Guide est qui téléchargé maintenant à plus de 20 000 exemplaires par an.
Pour 2016, au-delà d’une mise à jour sur l’écosystème entrepreneurial, je prévois d’ajouter une belle partie sur l’entrepreneuriat social. Il se pourrait aussi que le Guide soit en partie traduit en anglais pour permettre à la France d’attirer des entrepreneurs étrangers.
2. Comment jugez-vous les actions menées par la FrenchTech pour le développement des start-up ? Une EuropeTech est-elle possible et si oui quels seraient les freins à lever ?
La FrenchTech a servi à mobiliser les ressources publiques françaises pour promouvoir les start-up françaises à l’étranger. Elle a aussi consolidé les efforts d’accompagnement dans les régions. J’ai pu voir la FrenchTech à l’œuvre dans des événements internationaux comme le CES de Las Vegas et le Web Summit de Dublin. Elle cristallise la dynamique des innovateurs français, leur donne une meilleure visibilité et contribue à créer une image de la « marque France ». C’est tout bénéfice pour les entrepreneurs.
Chaque pays a cependant lancé des efforts équivalents. Les plus avant-gardistes ont été les Anglais. Maintenant, presque tous les pays d’Europe font des efforts de promotion du même genre. L’écosystème français est cependant le second en Europe, juste derrière les Anglais. Ceux-ci nous dépassent surtout dans leur meilleure capacité à financer les start-up. Et tout le monde en Europe jalouse évidemment la Silicon Valley mais aussi Israël.
Unifier l’effort européen est souhaitable. Le marché européen reste très fragmenté et ce n’est pas qu’une question de pouvoirs publics. Le secteur privé est aussi très fragmenté : les opérateurs télécoms, les retailers, les médias, les utilities, presque toutes les grandes activités industrielles sont différentes d’un pays à l’autre. Donc, les cycles de vente ou de partenariats sont propres à chaque pays. Cela se retrouve dans la fragmentation de l’offre de start-up. Peu d’entre elles émergent comme des acteurs européens globaux. L’Europe politique étant ce qu’elle est, elle ne s’impose pas au-dessus des Etats. Bon, au Web Summit, j’ai tout de même croisé un pavillon faisant la promotion de l’Oregon. Comme quoi…
3. Enfin que préconiseriez-vous pour que les dirigeants prennent conscience du travail en profondeur à opérer pour la transformation digitale des entreprises ? Quel est selon vous le plus grand risque, l’ubérisation ou la kodakisation ? Et qu’ont-ils à apprendre des start-up ?
Je n’aime pas trop ce terme à géométrie variable de transformation digitale. Il doit être compris à plusieurs niveaux : au premier, c’est le besoin de moderniser ses outils de travail, de communication et de relation avec les clients. Au second, c’est une manière de revoir des modes de fonctionnement, de management et d’innovation. Au troisième, il s’agit de comprendre les évolutions sociétales et macro-économiques induites par le numérique et de développer de véritables stratégies associées. J’en vois deux qui sont essentielles : l’évolution de la relation au temps qui rend les clients très sensibles aux délais et les tsunamis provoqués par les plateformes et les effets de défragmentation des marchés à l’échelle mondiale. Le sujet n’est pas nouveau. Il y a 20 ans, on parlait de désintermédiation. Les nouveaux services style Uber ou Airbnb sont dans la lignée des Amazon et eBay dans le e-commerce, mais appliqués à d’autres secteurs d’activité.
L’uberisation est interprétable de différentes manières. C’est en premier lieu un mécanisme d’intermédiation différent entre client et fournisseurs et à une échelle mondiale. Ensuite, c’est l’émergence de l’amateurisation des services, avec des particuliers qui rendent des services jusqu’à présent réalisés par de professionnels. La kodakisation relève de la difficulté à comprendre comment des bouleversements technologiques peuvent affecter voire faire disparaitre des business existants.
Certains métiers de services risquent d’être transformés ni par l’un ni par l’autre de ces phénomènes mais par un troisième encore plus puissant : l’automatisation partielle des métiers via l’intelligence artificielle qui fait des progrès sensibles en ce moment. Cela concerne notamment les métiers juridiques et certains métiers dans la santé. Comme de plus, ils sont opérés par des professions libérales, ils ne peuvent pas réagir comme pourraient le faire de grandes entreprises. Un peu comme les taxis indépendants face à Uber. Les TPE et professions libérales doivent trouver le moyen de s’adapter à tous ces bouleversements en fédérant leurs efforts.
4 novembre 2015
Olivier Ezratty conseille les entreprises pour l’élaboration de leurs stratégies d’innovation (veille technologique, stratégies produits, création d’écosystèmes) et en particulier dans les objets connectés. Il est aussi très actif dans l’écosystème des start-up qu’il accompagne comme board member, consultant, conférencier et auteur. Il publie notamment le Guide des Start-up High-tech en France sur son blog Opinions Libres ainsi que le Rapport du CES de Las Vegas tous les ans depuis 2006. Il est aussi le co-auteur de l’initiative « Quelques Femmes du Numérique ! ». Il est ingénieur de l’Ecole Centrale et a une double expérience dans le développement logiciel (chez Sogitec) ainsi que dans le marketing (chez Microsoft France dont il a notamment été le Directeur Marketing).
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