1. Vous avez créé La F@brique du futur voici quelques années. Pourriez-vous revenir sur les étapes et son rôle aujourd’hui ? Enfin, vous aviez choisi un nom de domaine en .eu, pourquoi ?
La Fabrique du Futur (FDF) a maintenant près de 10 ans d’existence officielle, mais on peut lui rajouter quelques années si on compte sa genèse, en amont. Celle-ci a été marquée par la publication d’un livre fondateur paru en 2005 « Fabriquer le futur, l’imaginaire au service de l’innovation » (avec une nouvelle édition en 2007).
La vision de la FDF était de réconcilier innovation technologique et développement durable, en se basant sur la notion de co-création en partant du principe que notre futur peut se construire et que chacun peut en être un acteur, et contribuer à fabriquer tant qu’à faire le futur le meilleur possible dans une démarche positive et optimiste ! La FDF a ainsi joué un rôle de “think tank” en évangélisant sur les concepts de co-création et d’innovation basée sur les aspirations citoyennes. Concrètement cela s’est traduit par des évènements (conférences et tables rondes) autour de ces thèmes. A cet égard, nous avons été assez pionniers en mettant en exergue des approches qui ne sont reconnues que depuis peu de temps : l’innovation par et avec les usagers, le design thinking, l’innovation collaborative.
Parmi les étapes importantes, on peut mentionner l’obtention dès 2008 du label européen “living lab” d’ENoLL (European Network of Living Labs) avec la création du living lab “3D Living Innovation” qui a, comme son nom l’indique, un focus sur la 3D et la réalité virtuelle.
En 2009, la FDF a contribué à créer la Chaire MODIM (Modélisation des Imaginaires, Innovation et Création) inaugurée en 2010. En 2012, la FDF a été co-fondateur de France Living Labs, le réseau français des Living Labs. Au passage, c’est la raison pour laquelle nous avons un nom de domaine en .eu. Cet engagement dans le mouvement des living labs se poursuit actuellement avec le lancement dans le cadre d’ENoLL du réseau francophone des living labs avec en particulier des living labs québécois.
Bref, la FDF a eu le mérite grâce à sa légitimité et à sa notoriété de préparer le terrain pour les autres projets sur lesquels je me concentre aujourd’hui comme le DIL et CreaKtive.
2. Que pensez-vous de l’écosystème français en matière d’innovation ? Est-ce que le terreau est fertile pour réunir étudiants, entreprises et start-up, investisseurs ? Et pourriez-vous nous présenter le DIL (Discovery Innovation Lab) qui est plus un Do tank car tourné vers l’action qu’un think tank ?
Ce qui est très positif c’est l’effervescence actuelle que l’on constate en France autour de l’innovation et de l’entrepreneuriat. L’innovation est enfin reconnue comme indispensable pour créer de la valeur, de la compétitivité, de la disruption qui permet d’inventer les produits et services de demain. De nombreuses start-up se créent, trouvent des financements et des soutiens avec les incubateurs et accélérateurs qui voient aussi le jour actuellement. Parallèlement, on assiste à l’éclosion de nombreux fablabs et living labs qui permettent aux entrepreneurs de créer des prototypes et de les valider. Ce qui est encourageant c’est que ce mouvement ne concerne pas que les start-up. Mentionnons ainsi que l’entrepreneuriat social a le vent en poupe et que l’économie collaborative se développe fortement. Au niveau gouvernemental, des initiatives comme la création de Bpifrance et le mouvement de la French Tech rencontrent un écho très positif. Les étudiants sont aussi encouragés à devenir entrepreneurs et des écoles comme Epitech ou l’Ecole 42 sont emblématiques à cet égard. Un grand projet comme celui de l’incubateur géant de la Halle Freyssinet contribue notablement à donner de la visibilité à l’innovation entrepreneuriale.
On peut aussi mentionner que de nombreuses entreprises sont aussi très actives en matière d’innovation : beaucoup interagissent avec l’écosystème des start-up, incubateurs et fablabs ou même créent elles-mêmes de tels dispositifs en interne. Ce faisant, elles acquièrent une nouvelle culture, innovent plus rapidement, deviennent plus agiles et même ré-inventent leur management. Nous avons pu creuser ce sujet en réalisant une étude, actuellement en cours sur ces nouvelles formes d’open innovation [1].
Quelques bémols sont à mettre malgré tout à ce constat globalement très positif : la pléthore des dispositifs de soutien et d’accompagnement à l’innovation ne favorise pas la lisibilité de l’écosystème de l’innovation ; les start-up ne trouvent pas toujours les relais qui leur seraient nécessaires pour croître et devenir des « scale-up » ; les nombreux écosystèmes fonctionnent souvent en silos, sans être suffisamment interconnectés, ce qui ne favorise pas les synergies qui pourraient se développer entre eux ; des dispositifs comme les future centers n’existent pas en France.
C’est d’ailleurs en partant de ce constat que nous avons créé un évènement, l’Innovation Ecosystems Agora (IEA) dont la première édition s’est tenue en décembre 2014. La deuxième édition de l’IEA aura lieu le 17 novembre 2015 et sera centrée sur les outils et méthodes d’innovation et sur l’impact des approches « lean startup » sur le management.
Selon moi, le dispositif d’innovation idéal doit être polymorphe et regrouper les diverses composantes qui peuvent accompagner l’innovation : incubateur, accélérateur, espaces de co-working, fablabs, living labs sans oublier un ancrage dans un écosystème de proximité avec des partenaires diversifiés (centres de R&D, écoles, entreprises, etc.).
Un tel dispositif existe et je l’ai rencontré : il s’agit de Creative Valley dont l’implantation première est située au Kremlin-Bicêtre, mais qui est en train de se répliquer en réseau en région parisienne et en région. C’est dans ce cadre-là que le Discovery Innovation Lab (le DIL) a vu le jour. Il s’agissait en effet de franchir une étape nouvelle en passant du « think tank » représenté par la FDF à un « do tank ». La vocation du DIL est en effet d’accompagner concrètement les projets d’innovation de l’idée au marché en passant par des phases de prototypage et d’expérimentation. On retrouve là les notions de fablabs et de living lab… avec un vrai ancrage physique.
3. Au-delà de la conception, le passage en POC (Proof of concept) est-il facilité avec des plateformes comme CreaKtive ? Quels sont ses atouts ? Quel est le public visé ?
Notre nouveau projet, appelé CreaKtive, consiste à bâtir une plateforme ouverte d’innovation. Nous avons en effet fait le constat que les entreprises peuvent certes avoir besoin de conseils, mais ce qu’elles attendent surtout c’est un accompagnement concret, avec des outils, des ressources, des méthodes, des lieux pour innover. Il se trouve que depuis la création du DIL, nous avons créé un vaste écosystème d’acteurs spécialistes de l’innovation. Nous avons donc pris l’initiative de proposer à ces acteurs de rejoindre une plateforme ouverte d’innovation que nous créons. Celle-ci vise à agréger des outils logiciels comme autant de briques technologiques mais également diverses autres ressources (méthodes ainsi que des compétences et expertises humaines). Comme nous souhaitions ancrer cette plateforme sur un socle technologique, c’est ainsi que nous nous sommes rapprochés de la start-up CreaKtive. Parmi les fonctionnalités de cette plateforme, nous travaillons sur un concept très innovant de fablab/living lab virtuels qui permettra en effet de réaliser des POC et de les expérimenter avec des bêta-testeurs. Cette plateforme s’adresse à tous les innovateurs qu’ils soient des créateurs de start-up ou des Responsables innovation dans des entreprises établies. CreaKtive jouera ainsi le rôle très novateur de guichet unique d’innovation tout en permettant de collaborer à distance.
[1] Cette étude a été initiée par un sondage en ligne réalisée en partenariat avec OpinionWay. Les résultats de ce sondage sont disponibles ici.
6 mai 2015
Eric Seulliet, est Président-fondateur de La Fabrique du Futur. Au sein de Creative Valley, il est délégué général de Creative Cluster et dans ce cadre là anime le Discovery Innovation Lab. Il est par ailleurs Vice-Président de France Living Labs et CMO de CreaKtive.
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