Le Conseil d’administration de l’ICANN, organisme qui gère l’attribution des noms de domaine d’Internet et qui est au cœur de la gouvernance du réseau des réseaux, avait approuvé à Singapour le 20 juin 2011 l’arrivée de nouveaux suffixes de type .quelquechose. Cela a nécessité trois années de travail pour définir les règles (par exemple les capitales des pays comme .paris). Le processus en marche risque de modifier la stratégie actuelle de présence en ligne avec des impacts sur le référencement des sites tout en ayant des conséquences sur les coûts.
Ron Beckstrom, CEO de l’ICANN, a présenté la création de nouvelles extensions pour les adresses Web le 21 septembre en compagnie de Jennie-Marie Larsen, responsable marketing de Sedari. Il s’agissait d’un petit-déjeuner organisé par Renaissance numérique sur l’initiative de Christophe Ginisty dans les locaux de Ladurée à Paris. Les 3 piliers de l’ICANN sont rappelés : gestion du DNS, cohérence des noms de domaine dans l’espace, unicité des adresses.
Les nouvelles extensions complèteront la vingtaine de noms de domaines génériques de premier niveau (.com, .org, etc. avec plus récemment le .xxx qui fait polémique dans certains pays), les gTLDs (generic Top-level domains), lesquels cohabitent avec les ccTLDs (country code Top-level domains) : territoires de type .fr, .uk, .be, .re, etc.
Cette libéralisation des noms de domaine n’est pas destinée aux particuliers. Les cibles sont :
– les pouvoirs publics souhaitant maîtriser leur extension (par exemple développer le tourisme avec .paris),
– les entreprises qui souhaitent repenser leur présence en ligne et leurs messageries avec par exemple une meilleure politique de filtrage des spams,
– les communautés d’intérêts,
– les investisseurs et entrepreneurs qui souhaitent rentabiliser une extension ayant du sens pour devenir une référence sur un sujet (on pourrait imaginer des.music, .sport).
Cette libéralisation est de nature à donner plus de choix aux clients mais permettra aussi de les mettre en concurrence pour l’achat d’un nom de domaine, ce qui se traduira par des coûts complémentaires dans certains cas. Les marques, organismes et entreprises pourraient avoir intérêt, pour préserver ou promouvoir leur identité, de réserver un nom de domaine spécifique via un nouveau suffixe. Et ensuite contrôler leur propre extension, définir, exploiter et vendre les noms de domaine liés à celle-ci en constituant une marque sur Internet. Néanmoins le coût pour postuler à l’achat est important (185 000 dollars minimum) sans compter les coûts additionnels.
À noter que cette libéralisation concerne bien plus que les 26 caractères de l’alphabet auxquels s’ajoutent les accents. Les caractères non latins comme les idéogrammes chinois et les caractères arabes font également partie de cet élargissement.
Pour cette libéralisation des noms de domaine, un calendrier est défini : les candidats à l’achat d’un nouveau nom de domaine devront postuler entre le 12 janvier et le 12 avril 2012. Puis les candidatures seront examinées par l’ICANN avec arbitrage éventuel avant la mise en service. En parallèle, toute personne souhaitant émettre une objection à la création d’une extension disposera de 6 mois pour en contester l’attribution définitive par l’ICANN. Les premières extensions sont attendues pour fin 2012.
Ceci pose la question des entreprises ou organismes créés après cette date qui seront de fait écartés du processus. Le prochain tour pour de nouvelles attributions de noms de domaines génériques n’interviendra pas avant quelques années (un délai de 5 à 10 ans est évoqué).
Une question centrale est de savoir quel impact sur le référencement ces nouvelles extensions vont avoir ? Il sera intéressant d’observer comment les moteurs de recherche vont s’adapter à cette nouvelle donne. Est-ce qu’une entreprise comme Renault aura un meilleur référencement avec un renault.fr, renault.com ou renault.renault ?
La question des homonymes sera également à trancher via une Commission pour arbitrer les possibles conflits. Par exemple, comme je l’évoque dans Clés pour Internet, .montblanc pourrait désigner a minima des crèmes desserts, une fameuse marque de stylos, la chaîne exploitant le site du Mont blanc. En cas de doute, l’ICANN tranchera avec un mécanisme d’enchères à la Google (AdWords), de nature à engranger des profits (voir à ce sujet l’opinion de Louis Pouzin). En outre, les extensions de noms de domaine génériques (par exemple .sport) seront vendues aux enchères par l’ICANN et revendables en sous-domaines. Pour se protéger une marque devra peut-être procéder à des investissements non négligeables, sans compter les 25 000 dollars chaque année pour renouveler sa propriété de l’extension. Le processus de l’ICANN est lourd pour toute organisation souhaitant devenir « opérateur d’Internet ». La démarche est engageante pour l’entreprise ou l’organisation acquérant sa nouvelle extension.
Ces nouveaux domaines seront sécurisés (service DNSSec pour la correspondance entre adresses IP et noms de domaine). La lutte contre le cyber-squatting est également avancée.
Le CEO de l’ICANN s’est livré à un exercice de séduction rappelant par exemple que des commentaires peuvent être publiés sur le site de l’ICANN et que le débat est ouvert. Et que l’ICANN est une ”Non-profit organization” par ailleurs “ICANN is led by you” de nature à rassurer et à co-impliquer.
L’ICANN a été selon Ron Beckstrom créée pour deux raisons, coordination aux États-Unis et servir les consommateurs dans un monde concurrentiel. Toutefois, du fait de ses liens étroit avec le gouvernement américain, la question de la gouvernance d’Internet reste plus généralement posée. Avec le double jeu de la Chine par exemple (qui crée un Intranet parallèle avec IPv9 pour son immense territoire tout en étant partie prenante d’Internet) et avec la montée de l’influence asiatique dans le monde numérique, le rattachement de l’ICANN ne devra-t-il pas être repensé ? Des liens étroits avec les Nations Unies consisteraient une voie à explorer. Il s’agit d’un débat politique au-delà des questions techniques.
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