Dans « Clés pour Internet », j’écrivais « La frontière entre la vie personnelle et la vie professionnelle est de plus en plus délicate à dessiner. Depuis le bureau, il est possible d’utiliser le courriel à des fins privées. Réciproquement, les NTIC rendent possible le travail à domicile. Le secret des correspondances, affirmé par la jurisprudence, est à mettre en balance avec les intérêts vitaux de l’entreprise. En l’absence de charte informatique au sein de l’entreprise, la surveillance des salariés est illégale et la confidentialité des messages doit être préservée. Seule la lecture de l’en-tête d’un mél est possible. Dans le cas contraire, les contrôles ne peuvent être effectués qu’à partir d’indications générales de fréquence, de la taille et du format des pièces jointes, sans qu’il y ait lieu d’exercer un contrôle sur le contenu des messages échangés. Le respect de la vie privée des utilisateurs de services de courrier électronique, en particulier le contenu des courriels, est assuré comme attesté par l’arrêt Nikon de la Cour de Cassation sociale du 2 octobre 2001. Il s’appuie sur l’article 8 de la Cour européenne des droits de l’homme qui dispose « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ». L’entreprise peut toutefois mettre en place un dispositif de filtrage pour interdire l’accès à certains sites. »
Avec le développement des réseaux sociaux et de la kyrielle d’outils Web 2.0, les usages qui évoluent avec notamment la mobilité et le succès des smartphones et iPhone, le contexte économique actuelle de crise, la question de la frontière mérite d’être reposée. Le salarié peut-il ponctuellement utiliser les outils mis à sa disposition sur son lieu de travail à des fins privés ? Quelques cas sont venus alimenter le débat.
Une salariée a été licenciée pour usage à des fins privés de la messagerie. Ce cas a généré beaucoup de buzz dans les médias. On peut se référer aux articles sur le web qui analysent et mettent en balance la décision de l’employeur et la réalité des faits avec les hypothèses que l’on peut raisonnablement émettre.
Un autre cas extrême est celui d’un salarié de TF1 qui a été licencié pour avoir envoyé depuis son lieu de travail un mél (ce mél n’était toutefois pas envoyé avec la griffe de l’entreprise mais via sa messagerie privée) à Françoise de Panafieu relativement à cette satanée loi Hadopi. Celle-ci l’a fait suivre à l’ancienne ministre de la Culture. Ce cas est particulier il est vrai car il s’agissait de la loi Hadopi… même si le salarié a fait appel.
La jurisprudence dans le domaine est appelée à évoluer. La Cour de Cassation sociale dans son pourvoi 07-44247 du 18 mars 2009 a complété les orientations de la jurisprudence en matière des droits des salariés et Internet. Celles-ci sont favorables à l’employeur dans la mesure où la Cour de Cassation estime que des connexions de longue durée et fréquentes à Internet sur le lieu de travail peuvent constituer une faute grave même si la qualité du salarié n’est pas mise en cause ( !) et qu’en cas de doute (effacement de l’historique des connexions par exemple), le doute concernant l’usage privé des connexions profite à l’employeur.
L’entrée de la génération Y (les « digital natives ») dans l’entreprise peut donner lieu à un choc culturel. Celle-ci matinée de Facebook, MySpace et autre YouTube, habituée à bloguer sur Skyblog et autres blogs, qui twitte beaucoup risque de ne pas comprendre pourquoi l’accès à certains sites est bridée. En bloquant tout ou partie de ces accès, la jeune génération sera incitée à utiliser des moyens de connexion détournés comme l’usage de son propre téléphone
portable personnel. Ceci sera moins facilement considéré comme un faute. Pourtant, du temps pourra être alloué à des fins personnelles et dans des proportions certainement supérieures.
La clef réside donc plus dans la bonne gestion des ressources humaines de l’entreprise en acceptant pour l’entreprise une utilisation modérée des outils par son personnel que de brider l’utilisation. En contrepartie, la disparition des frontières vie professionnelle / vie privée doit jouer dans les deux sens. Le cadre notamment devra accepter en retour d’être sollicité en dehors du lieu et des horaires classiques de travail pour répondre à des dossiers urgents, et ce dans un nombre grandissant de fonctions.
L’accès aux sites Web 2.0 depuis les postes de travail au sein de l’entreprise et son impact sur la productivité reste difficile à démontrer. Des études (par exemple celle du Dr Coker du département « management et marketing » de l’Université de Melbourne en Australie démontre qu’en surfant plus on travaille plus : les salariés qui surfent à des fins personnelles sont environ 9 % plus productifs que les autres) montrent que les salariés impliqués dans des réseaux sociaux sont plus productifs que les autres. Ils auraient une plus grande curiosité intellectuelle, une capacité à jongler sur plusieurs dossiers en parallèle. Ceci plaide en faveur d’une utilisation modérée de ces outils, bénéfique pour l’entreprise.
En outre l’adoption par l’entreprise d’outils Web 2.0 en interne comme en externe peut jouer favorablement sur son image perçue par les jeunes générations qui viendront plus facilement frapper à sa porte.
Cette disparition des frontières vie professionnelle / vie privée est également matérialisée par le télétravail qui est une piste d’avenir et la ministre Nathalie Kosciusko-Morizet l’a défendue. Le télétravail ne va pas totalement se substituer au travail car l’homme a besoin d’échanges et de rencontrer ses collègues et pas seulement virtuellement, mais il peut néanmoins constituer un bon complément, pour par exemple ceux qui habitent à plusieurs heures en train ou en avion de leur lieu de travail et ceux que l’on appelle les « célibataires géographiques ». Les députés ont entériné le 9 juin dernier la proposition de loi qui ferait entrer le télétravail dans le Code du travail, le texte définissant le télétravail comme « toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail, qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur, est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon régulière et volontaire en utilisant les technologies de l’information dans le cadre d’un contrat de travail ou d’un avenant à celui-ci. »
Avec les risques de pandémie (de type virus H1N1), la plus grande prise en compte du développement durable (moins de recours aux transports, de nature polluants), le télétravail s’impose comme une évidence. Il demandera cependant l’utilisation d’outils participatifs (par exemple Adobe Connect), l’utilisation de réseaux sociaux d’entreprise ou d’outils de « knowledge
management » sécurisés.
L’un des principaux fondements des relations entre l’employeur et le salarié est la confiance dans la conduite des projets et des missions. Ce qui compte pour l’entreprise est le résultat et les performances du salarié pour l’atteinte de ses objectifs. Et pour le salarié, de se réaliser à un certain niveau tout en apprenant techniquement, humainement et dans une ambiance conviviale qui favorise le dépassement de soi avec les autres. Si l’ensemble peut être concilié grâce aux outils du Web 2.0 et à la mobilité, la démarche est alors gagnant-gagnant.
1 Commentaire
L’arrivée des nouvelles générations présente une opportunité de transformer les usages des technologies au sein de l’entreprise. Comme l’a montré une étude récente impliquant Eranos, AddedValue, Ifop et BearingPoint et pilotée par Microsoft, les jeunes générations, qualifiées de « ludens » dans l’étude, sont plus interactifs que les anciennes, les « faber ». Le manager, à condition de bien comprendre comment il peut tirer partie de cette nouvelle dynamique, et ne soit pas dépassé par son caractère ludique, peut engager les plus jeunes à démontrer les qualités de ces nouveaux outils, dans le partage de l’information, la rapidité des échanges, la persistence des contenus de qualité, etc. Pour cela, une seule méthode : l’appropriation par l’expérimentation. Le manager découvrira une nouvelle manière d’entrer en relation avec ses équipes, nouvelle manière qu’il devra valoriser dans les outils traditionnels d’évaluation des performances des salariés. Progressivement, ces nouveaux outils qui peuvent aujourd’hui n’être vus que sous leur aspect ludique (beaucoup plus médiatique), prendront tout leur sens dans l’opérationnel et transformeront durablement nos activités professionnelles.