1. Que pensez-vous de l’enseignement des NTIC dans l’Education nationale ? Formation des enseignants ? Des élèves ? Et quels conseils donneriez-vous pour que les professeurs restent à la page ?
Je commencerai par rappeler que les TIC ont différents statuts éducatifs car le débat sur leur enseignement est parfois empreint d’une certaine confusion. L’informatique et les TIC sont un outil pédagogique à nombreuses facettes, transversal ou spécifique à des champs disciplinaires. L’informatique s’immisce dans les objets, des méthodes et des outils des savoirs constitués, dans l’« essence des disciplines » et leur enseignement doit en tenir compte. Cela vaut pour tous les ordres et niveaux d’enseignement, et notamment pour les formations techniques et professionnelles, tant les métiers, les processus de travail, les profils et les qualifications requises ont évolué. L’ordinateur est outil de travail personnel et collectif des enseignants, des élèves et de la communauté éducative. Enfin, l’informatique et les TIC sont objet d’enseignement car composantes incontournables de la culture générale de notre époque.Tous ces statuts ne s’excluent aucunement, au contraire ils se renforcent mutuellement.
Concernant l’enseignement des TIC proprement dit, il y a eu, dans les années quatre-vingts et quatre-vingt-dix, une option informatique dans les lycées d’enseignement général. Le cours de technologie au collège comporte une composante informatique bien identifiée. Autant le B2i, brevet informatique et internet correspond bien à la pédagogie de l’école primaire, autant il est confronté à de nombreux obstacles pour sa mise en oeuvre au collège et au lycée. Il s’inscrit dans la démarche qui situe les apprentissages dans les usages de l’outil informatique dans les autres disciplines. En effet, au fil du temps, deux approches se succèdent, coexistent, suscitent de vifs et intéressants débats. Pour l’une, les apprentissages doivent se faire à travers les usages de l’outil informatique dans les différentes disciplines existantes et les activités. Pour l’autre, que je partage, l’informatique étant partout (dans la société et à l’Ecole), elle doit aussi être quelque part en particulier, à un moment donné, au lycée, sous la forme d’une discipline scolaire en tant que telle. C’est d’ailleurs le cas pour les mathématiques, outil conceptuel au service des autres disciplines, et étudié pour lui-même ! Ce qui est une façon de procéder efficace et rationnelle.
Concernant les professeurs dont on sait qu’ils doivent « rester à la page », la réponse est simple et bien connue. Elle s’appelle formation continue, s’appuyant sur des fondamentaux bien en place.
2. Quels atouts présentent les logiciels libres pour le corps professoral ? Quid selon vous du débat entre les partisans du logiciels libres et ceux de la brevetabilité ?
Les atouts éducatifs des logiciels libres constituent le fondement de l’accord-cadre signé en octobre 1998 entre le Ministère de l’Education nationale et l’AFUL (Association francophone des utilisateurs de Linux et des logiciels libres), et régulièrement reconduit depuis lors. En substance, il indique qu’il y a pour les établissements scolaires, du côté des logiciels libres, des solutions alternatives de qualité, et à très moindres coûts, dans une perspective de pluralisme technologique.
Les logiciels et les ressources pédagogiques libres sont en phase avec les missions du système éducatif et la culture enseignante de diffusion et d’appropriation de la connaissance par tous. Les licences comme la GPL permettent aux élèves et aux professeurs de retrouver à leur domicile leurs environnements informatiques sans occasionner des frais supplémentaires, ce qui est un facteur d’égalité. Pour les ressources pédagogiques, les réponses en terme de droit d’auteur de type Creative Commons créent les conditions de l’échange, de la mutualisation, du travail collaboratif. Des associations comme Sésamath deviennent des acteurs de premier plan pour la réalisation de produits pédagogiques de qualité.
Logiciels libres, brevets, droits d’auteurs et droits voisins dans la société de l’information… l’enjeu est l’accès de tous à la connaissance, la culture, le patrimoine de l’humanité. Et la question posée est celle de savoir quelles sont les démarches les plus efficaces pour produire les biens immatériels et de connaissance ? Coopération, ouverture, bien commun et bien public ? Ou concurrence, barrières, privatisation des savoirs ? Les modes de réalisation des logiciels libres sont ceux de la recherche scientifique. L’une et les autres ont amplement fait leurs preuves et plaident donc en faveur de la première des deux alternatives qui précèdent.
3. Enfin, que pensez-vous de l’initiative de la clé USB pour les enseignants ?
Je suppose que vous parlez de la clé mise à disposition des néo-titulaires. C’est une initiative intéressante, qui a pour objectif d’aider l’entrée des nouveaux enseignants dans leur métier en favorisant l’intégration des technologies de l’information et de la communication. Rappelons que l’opération consiste, pour sa première année, en la production de 6 000 clés pour trois disciplines : Histoire et Géographie, Sciences physiques et chimiques fondamentales et appliquées, Sciences de la vie et de la Terre, et pour l’enseignement primaire dans quelques départements, à titre expérimental. Chaque clé, d’une capacité de 2 Go, permet à partir d’un ordinateur PC ou Macintosh d’avoir accès à des liens institutionnels ; des ressources pour enseigner ; des exemples d’usages ; un espace personnel ; une boite à outils. La clé est la propriété de l’enseignant et l’usage des ressources disponibles (via la clé) est strictement individuel et professionnel.
Permettez-moi de profiter de votre question pour dire quelques mots sur une autre clé USB, Clé en main, coéditée par le CRDP de Paris et la société Mostick. Cette clé contient des logiciels libres et des ressources pédagogiques. Parmi les logiciels figurent la suite bureautique complète OpenOffice.org, le navigateur Firefox ; le client messagerie Thunderbird ; The Gimp (traitement d’images) ; Audacity (traitement sonore) ; Coolplayer (lecteur Audio MP3) ; VLC (lecteur video). Les logiciels fonctionnent d’une manière autonome sur tout ordinateur équipé d’une version de Windows parmi les plus courantes, sans que l’on ait à les installer sur chaque machine nouvellement utilisée. Clé en main est une sorte d’environnement numérique de travail personnel qui permet d’avoir en permanence avec soi ses logiciels, ses fichiers, ses méls, ses ressources pédagogiques.
31 mars 2007
Jean-Pierre Archambault, Professeur agrégé de mathématiques, est chargé de mission veille technologique au CNDP-CRDP de Paris, où il assure notamment la responsabilité du dossier des logiciels libres, coordonnant le pôle de compétences logiciels libres du SCEREN. Il a participé au pilotage du développement des TICE dans l’académie de Créteil. Il est l’auteur de nombreux articles sur les usages pédagogiques et les enjeux des TIC. Il est membre du comité de rédaction de Médialog, revue des technologies de l’information et de la communication dans l’enseignement, et a publié « De la télématique à Internet » aux éditions du CNDP.
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