1. Pourriez-vous nous présenter les missions de la Délégation aux Usages d’Internet (DUI) ? Quel est son positionnement au sein du Gouvernement ?
La Délégation aux usages de l’Internet (DUI) a, depuis sa création, comme mission le développement de l’Internet en France et son extension vers de nouveaux utilisateurs. La DUI est sous l’autorité conjointe du Ministère de la Recherche et du secrétariat d’État à la prospective et à l’économie numérique. Dans la continuité du plan France numérique 2012, nous assurons le suivi et la mise en œuvre des différentes mesures sur l’accès, sur le développement des usages pour les différents types de publics. Deux populations cibles sont actuellement moins connectées que le reste de la population.
Ces deux « cibles » sur lesquelles portent nos efforts sont :
– les personnes âgées de plus de 65 ans. Il est à noter que les 50-65 ans ont connu un net rattrapage ces 4 dernières années ;
– les foyers défavorisés qui sont nettement moins connectés que le reste de la population. Ainsi à titre d’exemple les foyers CSP+ avec enfants sont connectés à 85 % contre 30 % pour les foyers défavorisés sans enfants.
L’Internet est désormais indispensable pour l’activité sociale, il joue en particulier un rôle essentiel dans la recherche d’emploi. L’accès à l’Internet par tous les publics est devenu une nécessité démocratique.
En effet, la France compte actuellement 60 % de foyers connectés. Nous disposons donc encore d’une forte marge de progression. Nous vivons aussi une époque de mutations des usages de l’Internet, en particulier avec la montée en puissance de l’Internet sur les téléphones mobiles. Ainsi, si la première mission de la DUI est le développement de l’internet pour tous, notre seconde mission est liée au développement des technologies de l’internet de demain. Nous veillons ainsi à accompagner les entreprises et les structures de recherche qui élaborent les technologies et les usages de l’Internet de demain. Qu’il s’agisse de l’internet mobile mais aussi de l’internet des objets qui correspondra à l’étape suivante du développement de l’Internet.
2. Les enjeux de la gouvernance d’Internet sont parfois sous-estimés. Que pensez-vous du rôle de l’ICANN aujourd’hui et comment définiriez-vous la nécessaire neutralité du réseau Internet ?
Nous vivons un moment particulier de cette gouvernance, avec la modification du lien « historique » entre le Department of Commerce et l’ICANN. Cependant, lorsqu’il est question de la supervision de la gestion DNS (Domain Name System), les États-Unis ont toujours affirmé que leur position ne changerait pas et qu’ils ne laisseraient pas à une autre entité le soin de gérer la « racine A » (ou Root Zone File) qui contrôle la carte mondiale d’attribution du DNS. En ce sens les évolutions institutionnelles de l’ICANN ne sont pas aussi importantes que l’on pouvait le penser.
Pour le reste, la gouvernance de l’internet pourrait bientôt être très différente de celle que nous avons connue jusqu’à aujourd’hui. En effet 95 % d’internautes sont encore reliés au réseau via un ordinateur. La montée en puissance de l’Internet mobile se traduira par le fait que des téléphones et bientôt de nombreux autres appareils seront connectés. Le téléphone mobile compte actuellement 4 milliards d’utilisateurs dans le monde contre 1,6 milliard d’internautes. Nous pourrions rapidement avoir 1 milliard d’appareils mobiles reliés à Internet. Si la gouvernance de l’Internet est jusqu’à présent centrée sur le DNS, l’internet des objets – c’est-à-dire la connexion des objets de tous les jours avec notamment l’utilisation de puces RFID – changera le mode de gouvernance de l’internet. La « gouvernance des objets » ne relèvera pas du DNS traditionnel mais d’une autre technologie que l’on nomme Object Naming Service ou ONS. Cet ONS représentera un enjeu de gouvernance bien plus crucial pour l’ensemble des États que le DNS.
Lors de la Présidence française de l’Union Européenne, le principe d’une gestion distribuée de cet internet des objets a été adopté par les ministres des télécoms européens à l’issue de la conférence de Nice sur l’internet du futur qui s’est tenue le 6 octobre 2008.
L’ONS deviendra essentiel dans tous les secteurs industriels ainsi que dans l’ensemble des activités des citoyens. Il n’est pas envisageable que sa gestion soit centralisée. Les données collectées (notamment celles relatives aux citoyens et aux entreprises et en particulier pour les questions liées à la vie privée) ne doivent pas être traitées en dehors de l’Union. La gestion doit s’effectuer de manière locale selon le principe de subsidiarité.
La neutralité de l’Internet est plus nécessaire que jamais car le réseau évolue dans ses usages mais aussi dans ses infrastructures (comme lors du développement de l’accès par la fibre optique). Il est important que le principe de neutralité qui a prévalu sur l’Internet des « machines » reste valide lorsqu’il est question de l’Internet mobile ou bientôt de l’internet des objets. Les deux autres principes du réseau (ouverture et interopérabilité) sont tout aussi nécessaires. Il s’agit de règles à la fois politiques et industrielles (pour la libre concurrence) mais aussi des principes de liberté d’expression, le droit des individus quelle que soit la forme que prend le réseau à l’avenir. Cette notion fondamentale continuera à être défendue par la France et par l’ensemble de nos partenaires en Europe.
3. Enfin, comment voyez-vous l’Internet des objets à l’horizon 2015 en France ?
Contrairement à une idée reçue (selon laquelle nous serions à la traîne des États-Unis), avec le développement de l’Internet mobile la France et l’Europe détiennent une opportunité historique pour modifier le centre de gravité économique de l’Internet.
En Europe nous disposons d’acteurs de taille mondiale dans le domaine des télécoms. Mais nous sommes en retrait par rapport aux États-Unis en matière de services en ligne (Yahoo, Google, eBay, Amazon sont californiens) alors même qu’eBay a été fondé par un français. À de très rares exceptions, (comme Skype), nous ne disposons pas d’acteurs d’envergure mondiale dans le domaine des services à valeur ajoutée sur Internet.
Le développement de l’internet mobile crée des conditions nouvelles dans ce domaine. Parmi nos atouts, les 550 millions d’abonnés GSM dont 100 millions d’abonnés 3G, avec un marché unifié de la téléphonie mobile dont les États-Unis ne disposent pas encore. Aussi il existe une fenêtre d’opportunités de 3 à 5 ans pendant laquelle les consommateurs européens – qui ont en moyenne un pouvoir d’achat plus élevé que les Américains – pourront aider à développer un grand marché européen des services sur mobile. C’est ce à quoi nous nous employons à l’échelle française mais aussi à l’échelle européenne.
Par la suite, en plus des ressources scientifiques nous disposons des données de proximité qui seront cruciales pour les développements des services de l’Internet des objets. Nous bénéficions ainsi d’un patrimoine culturel, géographique, touristique et environnemental parmi les plus demandés au monde. Les données européennes devront donc être valorisées par des entreprises européennes. C’est un levier mais il est aussi nécessaire de favoriser les PME de ce secteur pour les faire arriver à une taille critique, notamment grâce à la commande publique : un équivalent du Small Business Act (dans lequel une part des commandes publiques serait obligatoirement affectée à des PME) devra être mis en place. En effet, à de très rares exceptions près (comme iTunes), les sociétés qui connu des succès mondiaux dans le domaine des services en ligne étaient à l’origine des PME.
23 mars 2009
Bernard Benhamou, est délégué aux usages de l’internet. Spécialiste de l’internet des objets, il anime le site Netgouvernance.
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