1. La nomination d’un secrétaire d’Etat à l’économie numérique constitue une avancée notable du Gouvernement pour ce secteur stratégique. Est-ce que sa lettre de mission vous paraît suffisamment exhaustive ? Quelles seront selon vous les priorités qu’il aura à mener selon l’esprit de la lettre ?
La lettre de mission n’est peut-être pas exhaustive, mais elle est très claire. En particulier elle précise que le rôle du ministre ne se limite pas à l’économie du numérique mais qu’il couvre tous les domaines, par exemple les usages de l’Internet ou la modernisation de l’Etat par les technologies de l’information. Nous avons donc bien un ministre chargé de coordonner de manière transversale et interministérielle tous les aspects de l’action de l’Etat dans le domaine des NTIC. C’est une très bonne nouvelle et un message fort.
Selon moi, la priorité c’est de montrer l’exemple, par la généralisation de l’administration électronique et le bon usage des choix informatiques publics. Le poids de la sphère publique (Etat, collectivités territoriales, santé publique) est tel que l’effet d’entraînement est considérable sur toute la société et l’économie. Par ailleurs, l’administration électronique est la seule manière de tenir la promesse du non-renouvellement d’un fonctionnaire sur deux, sans baisse de la qualité du service public.
Ensuite, l’Etat a un rôle de régulateur à jouer dans le respect d’une concurrence qui doit exister à tous les niveaux. Cette concurrence a très bien joué entre les fournisseurs d’accés à Internet et elle a fait baisser les prix. Pourquoi cette saine concurrence n’existerait pas au niveau des logiciels ? Plutôt que de subventionner l’informatisation des ménages, il faudrait à mon avis s’assurer que les consommateurs sont bien informés et qu’ils ont bien le choix entre les solutions propriétaires et les solutions libres. Il faut également que les pouvoirs publics ne soient jamais enfermés dans leurs choix technologiques. Là encore les solutions libres permettent de retrouver une concurrence qui fera baisser les factures.
D’une manière plus générale l’Etat doit se soucier des consommateurs. Les internautes français sont de plus en plus nombreux, c’est tant mieux, mais ils sont aussi plus récents que ceux des pays nordiques ou anglo-saxons. Ils peuvent donc être moins avertis, plus naïfs. Il ne s’agit pas de faire des choix pour eux. Il s’agit de leur permettre de conserver leurs droits et d’éviter les pièges qui ne manquent pas sur le réseau, de la publicité mensongère à la pure escroquerie, en passant par le vol des données personnelles.
2. Est-ce que l’éparpillement des acteurs et des entités agissant pour le numérique (par ex. Délégation aux Usages de l’Internet, ex ADAE, etc.) et au sein des ministères (pour l’infrastructure, les usages et la formation, l’économie) constitue actuellement un frein au développement du numérique en France ?
Oui, sans doute ! Il y a un certain féodalisme dans les structures chargées des NTIC en France. Le rôle du ministre sera de coordonner ces différentes entités. Je pense aussi que le démantèlement aujourd’hui complet de l’ADAE par Bercy a été une erreur historique. Il faut maintenant construire une structure souple, fonctionnant en réseau, mais disposant de certains moyens. J’ai parlé d’une « DATAR du numérique« , qui devrait évidemment reprendre les hommes et les moyens des structures existantes. Tout cela est bien dans les attributions d’Eric Besson. Chaque ministère doit bien entendu mener sa propre politique numérique. Il y a des efforts à faire dans l’économie pure et l’emploi, à l’Education nationale, à la Culture, dans la Recherche, dans la Fonction publique, etc. mais il faut aussi qu’il y ait une vision stratégique globale de ce que doit être la France dans la société de l’information. Au bout du compte, l’Etat doit se doter d’une vraie politique de « Gouvernance globale de la société de l’information », ce qui va un peu au-delà de la simple gouvernance de l’Internet, orientée vers des structures telles que l’ICANN. Le numérique passera de plus en plus par des objets communicants autres que les ordinateurs : les téléphones, les PDA, les immeubles ou les voitures intelligents, les puces placées un peu partout dans les produits que nous achetons, etc. C’est sur ces sujets que l’Etat ne doit pas se tromper.
3. Enfin pourriez-vous nous présenter les missions du club de l’Hyper-république et quelles sont les évolutions notables en matières d’usages depuis votre rapport sur l’Hyperrépublique ?
Le Club et son blog ont comme rôle d’animer les débats en France sur l’administration électronique, les logiciels libres, la démocratie électronique et la gouvernance de l’Internet. Nous intervenons souvent sur ces sujets de manière théorique ou pratique, en intervenant dans des colloques, en organisant des réferendums sur le blog (par exemple au moment du vote de la Constitution européenne) ou encore en remettant les trophées de la démocratie électronique, chaque année à Issy-les-Moulineaux.
Quant aux évolutions récentes depuis le rapport, elles sont importantes. Grâce à l’explosion du haut débit, et à l’action forte de l’ADAE, l’administration électronique a « rattrapé son retard », c’est-à-dire que l’administration française est bien présente sur Internet, avec un large éventail de services. D’où son bon rang dans les « classements » européen. Reste à sensibiliser les fonctionnaires et les usagers pour qu’ils se saisissent, massivement, de ces outils.
11 avril 2008
Pierre de la Coste, fondateur de l’association Mélusine et auteur du rapport sur L’Hyper-République, a participé à plusieurs cabinets ministériels (Intérieur puis Industrie) dans la période 1993-1997. Co-fondateur de la fête de l’Internet, il a lancé le Club de l’ Hyper-République dans le cadre du forum mondial de la démocratie et de l’administration électronique.
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