1. Quel bilan faites-vous du site www.candidats.fr qui a recueilli les opinions des candidats à la présidentielle avec notamment les réponses des candidats sur le logiciel libre, les brevets, les mesures techniques de protection, l’interopérabilité des logiciels, etc. ? Le pluralisme s’est-il exprimé ?
L’initiative Candidats.fr est un véritable succès.
Huit des douze candidats à la présidentielle ont répondu au questionnaire Candidats.fr. Les sujets abordés par le questionnaire ont été traités en profondeur par la quasi-totalité des candidats, et cette initiative a permis de contribuer à alimenter le débat de fond sur le logiciel libre et les libertés numériques.
La qualité des réponses argumentées illustre la capacité des candidats à s’entourer d’experts, à auditionner, à confronter des avis sur des sujets sensibles, parfois encore brûlants, ce qui est en soit une bonne chose dans la mesure où cela permet, quoi qu’il arrive, de faire avancer la réflexion dans chaque parti.
De toutes les réponses reçues au questionnaire, celle de notre nouveau Président de la République est la moins encourageante pour le logiciel libre : soutien à la protection juridique des DRM, à la loi DADVSI, incompréhension des différences fondamentales entre biens matériels et créations immatérielles. Pour autant nous ne désespérons pas. L’APRIL a choisi de rester vigilante, d’intensifier et multiplier les actions de promotion et de défense qu’elle mène depuis plus de dix ans.
La partie Législatives 2007 de Candidats.fr est également un succès: plus de 500 candidats avaient signé le Pacte du Logiciel Libre et 66 des députés actuels sont signataires du pacte et se sont donc engagé à défendre les auteurs et utilisateurs de logiciels libres.
Nous renouvellerons l’opération pour les municipales et cantonales 2008.
2. La propriété intellectuelle encourageant l’innovation et les entreprises consacrant une part importante de leur budget à la R&D en matière de développement informatique, pensez-vous qu’un modèle où le libre cohabiterait avec la brevetabilité des logiciels est une bonne chose d’un point de vue économique ?
Le terme confus de « propriété intellectuelle » englobe juridiquement des instruments très différents les uns des autres. Ainsi, les logiciels sont couverts, d’après divers traités internationaux [1], par le droit d’auteur, qui permet à l’auteur d’un logiciel de décider des modalités d’utilisation et de diffusion de son oeuvre. C’est grâce au droit d’auteur que des licences comme la GPL permettent à quiconque d’utiliser, copier, étudier, modifier et redistribuer les logiciels libres.
Mais la « propriété intellectuelle » comprend également le droit des brevets qui, lorsqu’il est appliqué aux logiciels, donne à son détenteur le pouvoir d’empêcher l’écriture ou l’utilisation de tout autre programme qui emploierait les mêmes fonctionnalités, les mêmes formats ou les mêmes raisonnements.
Or les avantages du brevet appliqué au logiciel n’ont jamais été démontrés économiquement. Pire, dans un domaine comme celui du logiciel où les innovations sont cumulatives, c’est-à-dire où chaque innovation repose sur celles qui l’ont précédée, on peut montrer que les investissements en R&D sont freinés par les brevets [2]. Ainsi, la brevetabilité des logiciels est critiquée, particulièrement en Europe où le droit européen interdit en principe les brevets logiciels.
En considérant qu’une idée informatique est la seule propriété du détenteur d’un brevet logiciel, on crée ainsi une rareté artificielle. Alors qu’un principe fondamental du logiciel libre est au contraire d’enrichir mutuellement ce réservoir de connaissances informatiques, en permettant à chacun d’y accéder librement.
Brevet logiciel et logiciel libre sont donc irréconciliables. Le brevet est un modèle du passé industriel, tentant, si on l’applique au domaine du logiciel, d’envisager sous l’angle de la propriété des mécanismes qui ne sont ni plus ni moins que des formules mathématiques, des abstractions, qui, pourraient tout aussi bien être mises en oeuvre par le cerveau humain au lieu de l’être par un ordinateur. Alors que les logiciels libres, en reconnaissant la valeur ajoutée créée par l’apport de chacun, proposent un modèle d’intelligence collective en phase avec le potentiel apporté par la révolution informationnelle.
[1] Accord relatif aux aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), Traité de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) sur le droit d’auteur.
[2] Cf. par exemple Jim Bessen : www.researchoninnovation.org
3. Enfin, quelles sont les actions qu’April entend mener en faveur du libre ? Et en quoi ont consisté les 8èmes rencontres du logiciel libre du 10 au 14 juillet à Amiens ?
Comme indiqué ci-dessus nous allons intensifier nos actions de promotion et de défense du logiciel libre. Ces actions valent à l’association sa renommée et l’adhésion d’un nombre croissant de personnes, d’acteurs économiques, industriels et associatifs de toute taille (nous avons quadruplé le nombre de nos adhérents en un an).
L’APRIL va faire de son mieux pour informer les futurs gouvernement et parlement, leur démontrer que le logiciel libre, l’interopérabilité, les formats ouverts et les biens communs informationnels sont autant d’atouts pour la France, pour ses citoyens et pour son industrie qu’ils se doivent de promouvoir. L’association redoublera de vigilance pour dénoncer toute nouvelle atteinte au logiciel libre et aux libertés numériques, pour les empêcher autant que faire se peut et pour garantir la sécurité de développement du logiciel libre. Nous comptons sur le soutien des députés signataires du Pacte du Logiciel Libre.
Nous avons déjà eu l’occasion de rencontrer des conseillers dans différents ministères. Dans les semaines qui viennent les dossiers brûlants sont : la commission Olivennes, le rapport d’impact de la loi DADVSI, le dossier des ventes liées ordinateur/logiciels, le projet de loi sur la lutte contre la contrefaçon.
Nous attachons aussi beaucoup d’importances aux actions de sensibilisation auprès du grand public (étudiants, monde associatif…) pour que la liberté informatique devienne un véritable enjeu de société.
Nous allons également publier bientôt un livre blanc sur les modèles économiques du logiciel libre.
Les rencontres mondiales du logiciel libre constituent un des grands rendez-vous mondiaux entièrement consacrés au logiciel libre. Grâce au formidable travail des bénévoles de l’équipe d’organisation (et en premier l’EPPLUG) l’édition 2007 de ces rencontres a été particulièrement riche. Environ 3000 visiteurs ont fait le déplacement à Amiens du 10 au 14 juillet 2007.
24 septembre 2007
Frédéric Couchet est délégué général de l’APRILAPRIL (Association pour la Promotion et la Recherche en Informatique Libre), association qu’il a créé en 1996. À l’initiative d’APRIL a été lancé le site candidats.fr où les opinions des candidats à l’élection présidentielle ont été recueillies. Il est entre autres président de Free Software Foundation France.
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