J’intervenais à deux reprises pour parler de ChatGPT, d’abord lors d’un webinaire orchestré par Frédéric Bascuñana sur l’ubérisation induite par l’outil. Ensuite pour une table ronde sur les usages de ChatGPT pour la veille au salon Documation i-expo 2023 avec Christophe Deschamps, Guillaume Sylvestre, Christophe Cruz, Philippe Brun et animée par Anne-Marie Libmann.
Les ubérisations provoquées par le tsunami ChatGPT
L’intelligence artificielle (IA) est apparue dans les années 1950 et le langage LISP fut l’un des pionniers. Elle est plurielle (systèmes experts, machine learning, réseaux de neurones, deep learning, etc.). Après plusieurs périodes qui se sont succédé avec des phases de sur-attente et de désillusions, elle est revenue sur le devant de la scène avec ChatGPT qui est un chatbot qui rentre dans la nouvelle catégorie d’IA générative, une intelligence artificielle capable de créer par elle-même bien que dépourvue d’émotions.
Cette IA générative ne concerne pas que les chatbots pour entretenir un dialogue entre l’humain et la machine et répondre à des questions mais elle s’applique aussi à la création d’images avec par exemple DALL-E et Midjourney. Ceci occasionne une prolifération des deepfakes. On l’a vu récemment avec le Pape François en doudoune blanche. Et il va être nécessaire d’être davantage vigilant, de vérifier encore plus avec discernement les informations avant d’éventuellement les relayer. Nous avons aussi d’autres domaines où cette IA s’applique comme la musique et le son (par exemple VALL-E).
Dans ce contexte, le test de Turing permet de savoir si la personne qui répond à un dialogue est une personne humaine ou une machine grâce au caractère de vraisemblance de la conversation. ChatGPT a passé le test de Turing avec succès.
ChatGPT va générer des ubérisations dans le cadre d’une destruction créatrice qui n’est pas nouvelle. Déjà les Canuts lyonnais s’étaient révoltés par rapport à l’introduction du métier à tisser de Jacquard qui automatisait leurs tâches. Plus récemment, ce fut les taxis par rapport à Uber qui contestaient l’absence de licence et le caractère pirate de ces nouveaux entrants qui contournaient le droit. L’apport de la technologie (géolocalisation + smartphone) a permis de chambouler un secteur qui ronronnait et qui était par ailleurs anxiogène pour le client qui, jusqu’alors, ne connaissait généralement pas le prix de la course à l’avance mais voyait le compteur du prix s’incrémenter au fil des minutes. Uber s’appuyant sur l’algorithmique et le big data avec la prévision de trafic, l’offre et la demande et d’autres paramètres a pu établir un modèle prédictif de tarification, qui plus est avec une notation des conducteurs et des clients comme le faisait eBay par exemple pour les achats/ventes d’objets d’occasion.
ChatGPT va générer une « révolution cyber-industrielle » selon l’expression de Frédéric Bascuñana. Nous aurons en effet des emplois détruits instantanément et d’autres qui seront créés dans la durée et dans d’autres filières. Le processus risque d’être espacé dans le temps. La révolution apportée par ChatGPT est que l’ubérisation n’affecte pas essentiellement les cols bleus comme la robotisation ou l’automatisation de tâches manuelles mais les cols blancs et les travailleurs du savoir.
Prenons l’exemple d’un concepteur/développeur. Jusqu’à peu, un développeur pouvait avoir un ou plusieurs jumeaux physiques à qui il sous-traitait des tâches. Demain cela pourrait être une transition vers un jumeau numérique avec ChatGPT avec la sous-traitance de morceaux de code. En effet, un développeur peut déléguer des tâches de développement à des codeurs situés par exemple au Vietnam, au Maroc et les rémunérer au tarif local et intégrer les composants développés après vérification et ainsi être payé X euros par mois imposable en France par son employeur et débourser X / 3 de ses revenus pour défrayer les développeurs à l’étranger. C’est immoral mais à la limite du légal. Pendant le temps gagné, ce développeur malin a du temps pour lui, des loisirs ou d’autres activités. Avec ChatGPT ou d’autres outils, quid si demain ce même développeur déboursait pour une formule premium 20 dollars par mois pour avoir son travail mâché ? Le potentiel disruptif est bien plus important. On pourrait imaginer une civilisation de rentiers avec des esclaves en IA ; du reste au début du XXème siècle, il n’était pas rare de croiser des personnes qui avaient des cartes de visite sur lesquelles étaient inscrites « rentier » en tant que profession du fait notamment de fortunes accumulées et de la simple gestion desdites fortunes.
Pour l’heure, pour en matière de code produit par ChatGPT pour différents usages, il est possible de :
- générer du code : oui mais pas effectué de façon optimale ;
- déboguer : bons résultats délivrés côté syntaxe alors que pour la correction d’erreurs de programmation c’est correct dans 1 cas sur 3 ;
- optimiser/corriger du code : pas optimal et parfois des erreurs sont générées ;
- commenter du code : oui mais pas utilisable avec le problème des boucles infinies.
ChatGPT peut dans bien des domaines suppléer l’homme (générer des idées de campagne publicitaire, rédiger des titres d’annonces ou des descriptions de produits en marketing, répondre aux questions de clients, optimiser la planification de la production, générer des idées pour un article de site et optimiser son référencement, analyser et résumer des articles, rédiger des communiqués de presse, répondre à des recherches et générer des quiz, demander un avis sur un devoir, etc.).
Nous pourrions envisager une utilisation gratuite et à bon escient de ChatGPT et dans le cas d’une utilisation massive, de payer en optant pour la formule premium du modèle.
En tout état de cause, les tâches à fortes valeurs ajoutées seraient réalisées par l’homme qui devra devenir plus expert, poussé par l’IA alors que l’IA est conçue pour libérer l’homme. Mais le processus s’accélérant notamment avec GPT 4 sorti le 14 mars dernier, Elon Musk lui-même et des centaines d’experts mondiaux ont signé une pétition laquelle appelle à une pause de 6 mois dans la recherche d’IA générative plus puissantes encore que ChatGPT4 car des risques majeurs pour l’humanité et pour l’éthique sont pointés. Les hypothèses sur ce moratoire restent multiples.
La veille 3.0 avec ChatGPT !
Il demeure important de tester l’outil en adoptant des précautions : ne pas utiliser une adresse professionnelle mais opter pour une adresse de type Gmail, Hotmail. Ne pas dévoiler des informations confidentielles propres à son entreprise. L’outil est en effet amélioré (ou influencé) au fil du temps avec les interactions humaines. Ainsi en réponse à une question, il est possible de commenter la réponse avec un pouce levé ou un pouce baissé et si la réponse ne convient pas ou que vous avez envie de la challenger, d’adjoindre un commentaire. Des données pourront être réinjectées et réinterprétées ultérieurement par ChatGPT pour améliorer son fonctionnement. Les données sont en effet utilisées pour de l’apprentissage par renforcement. En outre, il existe un problème récurrent de fuite d’informations comme sur tous les outils du Web qui ne sont pas infaillibles et si beaucoup de valeur est produite par ChatGPT, les cyberattaques vont être nombreuses. Et la mémoire de ChatGPT est limitée. Elle dépend de la mémoire disponible dans les serveurs d’OpenAI avec cependant la possibilité de mémoriser le contexte de la discussion dans une conversation afin de rebondir sur des questions précédemment posées.
Cet outil ne remplacera pas les moteurs de recherche comme Google pourtant fortement chahuté. Nous allons assister comme pour les sources d’énergie décrites dans le livre Le monde sans fin (pour l’énergie : le charbon, le pétrole, le nucléaire, le solaire, l’éolien, etc.) à un empilage de possibilités et une explosion de la consommation. Il en va de même dans la recherche d’information, le rôle de l’humain avec les rencontres, les salons, l’exploitation des brochures et des documentations des entreprises, les moteurs de recherche, l’IA générative avec ChatGPT. Loin d’un remplacement, cela va être une agrégation et un boom des données produites.
Il convient d’être conscient des biais de l’outil comme pour tout algorithme et jeux de données. Il n’est en effet pas performant pour des données récentes. Par exemple il invente parfois ou pense que des personnes comme Claude Rochet sont décédées. Dans ce cadre, il convient d’utiliser ChatGPT à bon escient y compris dans l’éducation comme aujourd’hui la calculatrice est autorisée en mathématiques mais où des raisonnements ou d’autres connaissances et compétences sont demandées aux élèves et étudiants. Comme pour vérifier si un devoir a été plagié ou réalisé avec Wikipédia sans croiser les sources et sans jugement critique, il existe des outils qui permettent d’effectuer des tests de vraisemblance pour savoir si un contenu a été généré par une IA tel GPTZero ou si la probabilité qu’il émane d’un humain est supérieure.
ChatGPT reste un modèle probabiliste très performant qui génère des phrases très correctes d’un point de vue syntaxique et sémantique. Les fautes de frappe et les aspérités sont gommées mais la créativité est plus lisse, très loin d’être disruptive.
Déjà Netflix utilisait l’IA combinée au big data pour la personnalisation et la recommandation de vidéos et même la production en accélérant la réalisation. ChatGPT va plus loin pour la génération de romans avec un curseur à positionner selon le type d’œuvre que l’on souhaite déléguer à l’IA.
Il n’en demeure pas moins qu’il génère des erreurs, qu’il les reconnaît volontiers car il est très politiquement correct. ChatGPT admet ses fautes à des réponses fournies et se range à ce que dit l’homme et il peut ainsi revenir à une réponse faite à une question en disant qu’il est désolé. Le revers à cette médaille du contenu consensuel réside dans la suppression des signaux faibles. On peut faire l’exercice sur la Covid par exemple ou de tout autre sujet clivant.
Néanmoins, on assiste à un « gloubiboulga informationnel » où les réponses ne sont pas sourcées. Ceci occasionne une difficulté de traçabilité de la réponse et implique une grande vigilance même si les gains de temps sont énormes. En outre les présentations des résultats sous forme de tableaux, de listes, etc. sont précieuses pour de nombreux usages.
Vers quelle IA demain ?
Pour chaque type d’usage nous pourrions soit avoir une App IA dédiée avec les API d’OpenAI soit avoir un outil universel mais moins parfait.
L’entraînement du modèle a un impact environnemental certain. Le passage de GPT3.5 à GPT4 a multiplié les données par un facteur 500. Pour cette grande consommation de données comme pour le métavers du reste, des optimisations seront à trouver de même que la place de l’IA : ce que ne peut l’IA… Et réfléchir à l’IA combinée avec l’intelligence humaine au même titre que la réalité virtuelle combinée avec la vie réelle permet une réalité mixte intéressante pour des cas d’usage à valeur ajoutée dans le métavers.
L’outil pourra devenir très pertinent lors de connexion à des bases de données très qualifiées. On peut imaginer à terme des ChatGPT internes aux entreprises à l’image des intranets par rapport à Internet car les informations dans les grands groupes sont très importantes et souvent en silos selon les directions, les entités, les filiales des entreprises.
Quant à Google, comme Kodak qui n’était pas passé de l’argentique au numérique, la firme de Mountain View a pris du retard. Le projet Bard n’est pas aussi performant qu’escompté. Mais Google va revenir dans la course comme l’avait fait Microsoft qui avait mal entamé le virage Internet et a longtemps été en retard avec son navigateur Explorer par exemple. Alors que Facebook devenu Meta s’est enlisé dans le métavers parmi les GAFAM, Microsoft (qui a investi dans ChatGPT) et qui est très diversifié, tire les marrons du feu avec Bing qui grignote Google et l’intégration de ChatGPT dans Microsoft avec Power Platform. Les mois qui s’annoncent risquent d’être passionnants et challengeant pour l’homme comme disent les RH.
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