A une semaine de Noël, il était temps de vous livrer ma sélection des livres au rayon [numérique | digital selon], d’autant plus attendue si vous êtes en panne de cadeau.
Diriger l’IA
Sous-titré Comment donner un sens à l’intelligence artificielle, ce livre de Maurice N’Diaye publié chez Hermann revient succinctement sur les aspects historiques de l’IA puis pose d’emblée les questions des bouleversements apportés par l’IA comme les révolutions industrielles précédentes et de l’utilité de l’IA dans la société. Il embraye ensuite sur la question des LLM (grands modèles de langage) et surtout le verrouillage par l’oligopole des acteurs de l’IA générative, les GOMMA (Google Deepmind, OpenAI, Meta, Mistral AI, Anthropic) en lieu et place des GAFAM. On aimerait qu’il en soit ainsi car parmi les 5 figure un acteur français en la personne morale de Mistral AI. Il souligne que la technologie n’est jamais neutre même si certains acteurs l’affirment ou du moins qu’ils veulent faire le bien. Entre algorithmique, optimisation, que pouvons-nous et devons-nous faire ? Certains titres sont volontairement provocateurs comme celui du « grand remplacement » de l’humain par la machine, la mise en place d’un revenu universel pour compenser la destruction d’emplois avec l’IA comme le prônent certains dirigeants dans la Silicon Valley. Au-delà, on peut citer « l’IA est un levier extraordinaire pour une prise de décision éclairée » et « Il ne faut pas laisser l’IA ‘décider’ seule. Il est nécessaire de la coupler avec d’autres paramètres, d’ordre éthique, sociétal ou écologique, ce qui est possible avec l’IA symbolique où interviennent des règles ». L’IA pourrait être un levier intéressant pour assurer la transversalité et casser les silos, notamment dans les administrations. En bref, l’utilité et la prise de décision éclairée sont les deux principaux enjeux philosophiques de l’IA. Un livre bien écrit de surcroit.
Comment réussir votre stratégie de triple accélération (IA, développement durable, futur des organisations)
Ce nouveau livre du duo Vincent Ducrey et Emmanuel Vivier, dirigeants et fondateurs du Hub Institute, vise juste. Alors que le monde est devenu VUCA (volatile, incertain, complexe, ambigu), ces trois changements (apparition de l’IA notamment générative, transition énergétique imposée du moins en Occident, nécessité de repenser les organisations par rapport à un monde qui évolue rapidement) sont au cœur des injonctions pour la transformation des organisations. Elles doivent les intégrer à leur stratégie et les décliner dans leur feuille de route.
Les 3 fondamentaux sont exposés de façon didactique avec 5 points de convergence (objectifs complémentaires, pressions externes et attentes sociétales, technologie comme catalyseur, résilience et adaptabilité, innovation et avantage concurrentiel). On y retrouve des questions que les dirigeants se posent tous les jours comme comment faire mieux avec moins lorsque les coupes budgétaires sont demandées (faire simple, être efficace et même efficient, être rentable).
La démarche stratégique proposée repose sur 5 fonctions clés découpées comme suit :
– organisation & finance,
– data & technologie,
– relations clients et utilisateurs, marketing et ventes,
– RH, culture & gestion des talents,
– Impact, supply chain & opérations
Les chantiers lancés doivent avoir pour objectif l’étape d’après (now, dès à présent et sur les 24 prochains mois et next, dans les 18 à 48 prochains mois dans une vision stratégique qui fait souvent défaut aux dirigeants qui subissent des pressions du court terme). 5 recommandations sont faites pour accélérer afin d’agir et non pas subir pour chacun des 3 chantiers. Par rapport à l’environnement VUCA, 7 facteurs de risques externes sont identifiés (cybersécurité et risques numériques, risques environnementaux et durables, interruption d’activité en lien avec la chaîne d’approvisionnement, changements réglementaires et conformité, risques géopolitiques, instabilité économique et financière, usage de l’IA). 8 clés de succès sont enfin dressées pour accélérer.
Après ces parties conceptuelles, le corps de l’ouvrage est constitué de la 4e partie qui illustre les principes avec 60 témoignages de dirigeants de grandes entreprises (Sodexo, Auchan, Renault, MAIF) du numérique (Klaxoon, Numeum, BPIfrance) comme politique avec David Lisnard pour l’association des maires de France ou Patrick Martin pour le MEDEF ou encore Laurent Alexandre pour l’IA.
Pour une réindustrialisation numérique !
Ce livre de Laurent Bloch est très riche en information avec une profondeur historique intéressante avec l’arrivée du micro-processeur au début des années 1970, le passage de la main-d’œuvre au cerveau-d’œuvre où les gens au travail doivent réfléchir et même penser, la nécessité d’enseigner la science informatique (ou numérique). Le prix Nobel d’économie Jean Tirole est même cité par rapport à l’insuffisance des programmes économiques en France qui a mal à sa R&D. L’exemple d’autres nations comme la Corée du Sud ou la Suisse aurait pu être cité pour illustrer. Un zoom sur les micro-processeurs avec aussi les impacts géopolitiques vis-à-vis de Taiwan et le quantique est effectué. Des précieux chiffres sont égrenés au fil des pages et même s’ils sont rapidement obsolètes, les tendances sont présentées et restent globalement assez pérennes. Alors que l’on parle beaucoup du numérique avec les services et les applications, la fameuse couche 7 du modèle OSI, l’accent est porté plus du côté des infrastructures notamment sur le manque de micro-processeurs en Europe. En rebond à la sénatrice Catherine Morin-Desailly, qui avait produit un rapport sur la colonisation numérique de l’Europe en 2013, le 10e chapitre illustre le fait que l’Europe est pour l’heure une colonie numérique (via les Etats-Unis et désormais la Chine également). Quelques rapides pistes (à étoffer) sont esquissées en fin d’ouvrage.
Le nouvel horizon de la transformation digitale
Sous-titré Focus sur les données, cap vers l’IA, ce livre de Pejman Gohari, Nouamane Cherkaoui et Jean Barrère est la 2e édition chez Dunod d’un précédent opus mis à jour avec les développements récents autour de l’intelligence artificielle. Il commence avec l’emballement lié à l’évolution rapide des technologies, l’émergence fulgurante de l’IA générative avec le t0 pour le grand public, le lancement de ChatGPT, les crises (géopolitiques, organisationnelles, décisions à prendre entre le court terme et le long terme). Ces changements font écho à l’analyse exposée dans le livre de V. Ducrey et E. Vivier (cf. supra). Aussi, les auteurs insistent sur le renouvellement de sa stratégie de transformation, ce que j’appelle la transformation digitale permanente au-delà de la transformation digitale initiale qui consiste à un rattrapage. Des tableaux illustrent l’évolution rapide avec désormais Nvidia et TSMC qui figurent dans le Top 10 des plus grandes capitalisations boursières mondiales. Les freins à la transformation sont rappelés (structures, comportements, organisations). 9 piliers des organisations pilotées par les données et l’IA sont énumérés : culture d’entreprise, le pouvoir aux makers selon le terme consacré par Chris Anderson, les talents, l’innovation, le client qui doit être une obsession comme chez Amazon du reste, le capital en données, l’IA qui peut éclairer la prise de décision, la technologie, la vélocité car l’agilité et la résilience ne font pas tout. La 3e partie dresse des pistes et des schémas pour se transformer.
Guide pratique des logiciels libres
Ce livre de Thierry Pigot aux Editions du puits fleuri commence par des rappels sur l’univers des logiciels libres : derrière chaque logiciel libre il existe une communauté d’experts qui aident en publiant des travaux en toute transparence et des forums en ligne ; les enjeux du cloud quant au stockage des données et les questions de confidentialité et juridiques qui en découlent avec des risques associés ; l’impact énergétique du stockage numérique dans le cloud qui en résulte ; les fondamentaux du logiciel libre depuis Richard Stallman en 1983 et le copyleft qui s’oppose au copyright indique qu’il faut reprendre la main dans le cadre de communs numériques. Puis 6 chapitres dressent le panorama d’outils libres qui permettent de réaliser pleins d’actions au quotidien tant pour le particulier que pour le professionnel. Nous avons par exemple LibreOffice pour la bureautique, PDFSam Basic pour les fichiers PDF avec une version payante avec des fonctionnalités supplémentaires, digiKam pour la gestion d’images, RawTherapee pour le labo photos, Shotcut pour produire des vidéos avec une qualité professionnelle, etc. Le livre est agréable à lire avec de belles copies d’écran en couleurs.
Les nouveaux serfs de l’économie
Ce livre de Yanis Varoufakis édité par Les liens qui libèrent et traduit en français est un essai sur le passage au techno-fédéralisme qui suit l’ère du capitalisme. Le point de départ est la bascule liée au cloud. Cela rejoint l’analyse livrée par Thierry Pigot dans son livre sur les logiciels libres ! Deux facteurs l’expliquent : la privatisation d’Internet par les géants de la tech aux Etats-Unis et en Chine d’une part et les réactions des banques centrales et des gouvernements occidentaux à la grande crise financière de 2008 liée aux subprimes d’autre part. La thèse est que les appareils à écran connectés au cloud font de nous de nouveaux serfs dans l’économie. Cela n’est pas perceptible car notre attention est détournée par la pandémie, la dette, l’urgence climatique. Le capital cloud est pourtant essentiel. Il démolit les 2 piliers du capitalisme que sont les marchés et la recherche du profit. Ils restent certes importants mais ne sont plus au cœur des opérations. Les plateformes de commerce numériques sont les nouveaux fiefs des géants de l’économie.
Nous avons une nouvelle forme de rente, la rente cloud. Les seigneurs féodaux détiennent le capital cloud. C’est ce techno-fédéralisme qu’évoque l’auteur. Les plateformes sont certes économiquement des marchés bifaces sur fond d’une nouvelle guerre froide entre Etats-Unis et Chine. Le 7e chapitre développe des pistes pour sortir du techno-fédéralisme dans lequel nous sommes. Il s’agirait de s’orienter vers le cloud et la Terre comme communs. Quelle pourrait être une révolte face à cette servitude face aux plateformes du cloud se demande Yanis. Dans un élan de Marx 2.0, il écrit « Techno-serfs, vassales et vassaux des cloudalistes et technoprolos de tous les pays, unissez-vous ! Nous n’avons rien à y perdre, hors nos chaînes de l’esprit ».
Jamais sans mon écran !
C’est en effet le dernier opus de Philippe Bloch chez Ventana Editions. Déjà, 7 des 9 chapitres constitutifs de l’ouvrage sont des antagonistes avec et sans IA (connexion vs solitude, narcissique vs empathique, impatient vs tolérant, paresseux vs combatif, violent vs courageux, prévisible vs curieux, influençable vs libre d’esprit). L’IA a déjà transformé l’auteur qui au gré de ses prompts avec ChatGPT4o a produit les illustrations de chacun des chapitres du livre. C’est cette itération entre l’homme et la machine qui est porteuse de valeur, encore faut-il avoir la capacité d’un jugement critique. Devenu utilisateur passionné avec le premier jour du XXIe siècle qui est daté au 30 novembre 2022, date de sortie de ChatGPT 3.5, où tout est arrivé si vite et où beaucoup ont été « pris au dépourvu » même si on avait eu le lancement de Google en 1998 et de l’iPhone en 2007. L’auteur revient sur la crise de la covid et du télétravail avec la peur de l’isolement, sur le côté narcissique des réseaux sociaux (la course aux abonnés, aux like qui « privilégient nos pulsions au détriment de nos intentions », etc.) avec quelques punchines au passage. Citons pêle-mêle car Philippe adore les effets des formules de style « cet exhibitionnisme XXL et cette obsession de devenir le centre du monde soient rarement perçus comme indécents est un autre signe qui ne trompe pas sur l’évolution de nos valeurs », « nous sommes obsédés par nos audiences personnelles », « cette infobésité [..] nous nous sentons toujours en retard sur quelque chose » « l’empire du milieu qui devance désormais l’Occident quant aux usages du smartphone » « les retards de langage, l’anxiété, les troubles mentaux, de l’alimentation ou du comportement et les difficultés à trouver le sommeil, dont la quantité ne cesse de se réduire et la qualité de se dégrader » du fait de la sur-exposition aux écrans où ils sont l’un des 3-8 chez beaucoup de jeunes !, « faudra-t-il évaluer les élèves sur la seule qualité de leurs prompts plutôt que la qualité de leur réflexion ou la structuration de leur pensée » « TikTok est la première application grand public dont l’IA constitue le cœur du réacteur ». Au final, il s’agit d’un petit ouvrage facile à lire qui apporte des questions que chaque utilisateur de l’IA devrait se poser.
Prendre des décisions dans un monde incertain
Thomas Houy et Valérie Fernandez présentent au sein de leur livre paru chez Dunod un outil, le DMC, Decision Model Canvas, qui est développé pour éclairer les décideurs dans un monde VUCA. En effet, il n’est plus possible de raisonner avec un scénario A avec X % de probabilité et B avec 1 – X % mais plutôt d’avoir la possibilité d’avoir l’arrivée d’un scénario C inattendu. Riche en réflexion par rapport aux possibles biais, aux effets (cigogne, Dunning-Kruger), lois, paradoxes ou aux syndromes tout en raisonnant via une pensée divergente et non linéaire ou purement cartésienne, les auteurs, chercheurs de haut niveau, nous conduisent à un processus en 12 étapes :
– Les objectifs du projet sont-ils alignés avec mes valeurs ?
– Quelles sont mes certitudes sur le projet ?
– Quels sont mes angles morts sur le projet ?
– Quelles explorations dois-je faire pour apprendre des choses sur mon projet ?
– Qu’est-ce que j’attends de mes explorations et comment mesurer la pertinence de leurs résultats ?
– A quelles dates puis-je m’engager à réaliser mes « explorations » ?
– Mes explorations ont-elles remis en cause les certitudes que j’avais sur le projet ?
– Mes explorations m’ont-elles permis de réduire mes angles morts sur le projet ?
– Quels changements vais-je apporter à mon projet en fonction des apprentissages tirés de mes explorations ?
– Quels sont les bénéfices et les risques relatifs aux changements à apporter au projet ?
– En fonction des bénéfices et des risques associés aux changements à opérer sur le projet, est-il toujours pertinent de le continuer ?
– Comment dois-je reformuler les nouveaux objectifs et les nouvelles valeurs défendues par mon projet ?
Le livre est enrichi de l’outil pour aider à prendre les décisions dans l’incertain via le scan d’un QR code. Même s’il n’est pas spécialement conçu pour des projets spécifiquement numériques, comme tout projet comprend des dimensions numériques et technologiques indispensables, cet outil est une aide précieuse qui gagnerait à être largement utilisée par les décideurs et leur garde rapprochée.
En bonus
Vous pouvez consulter et télécharger librement le Numerikissimo, annuaire des Top acteurs du numérique français qui se veut inspirant avec des visions de la société numérique et des personnalités à suivre. Notez que dès à présent l’édition 2025 est en préparation avec un passage à l’échelle et de nouveaux acteurs et l’appui d’annonceurs.
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