En 1994, le Premier ministre (Edouard Balladur, 95 ans aujourd’hui) demandait un rapport sur les autoroutes de l’information à Gérard Théry, haut fonctionnaire, polytechnicien et ingénieur général des télécommunications qui a occupé divers postes à responsabilité, notamment Directeur général des Télécoms, l’ancêtre de France Télécom puis d’Orange. On lui doit le plan de rattrapage des télécoms en France. Au début des années 1970, comme on disait trivialement « La moitié des Français n’avait pas le téléphone et l’autre moitié attendait la tonalité ». Ce rapport a été remis voici 30 ans et est riche d’enseignements.
L’expression autoroute de l’information avait été popularisée par le vice-président Al Gore dès novembre 1991 avec le High-Performance Computing Act. Et dans son discours de Buenos Aires le 21 mars 1994, il évoquait l’avènement d’une démocratie participative grâce aux autoroutes de l’information en demandant à tous les gouvernements de construire « un réseau de communication mondial » afin de garantir « la démocratie, la liberté et le développement économique de toute la planète« . Il estimait qu’elles permettraient de « partager l’information, d’améliorer l’environnement et la médecine et de supprimer les barrières entre les nations riches et pauvres« . Le vice-président Al Gore, candidat démocrate malheureux à la présidentielle américaine en 2000 (48,4 % des suffrages vs 47,9 % à George W. Bush élu du fait du suffrage indirect et du principe des grands électeurs avec « the winner takes all » dans chacun des 50 Etats des Etats-Unis et d’un recomptage dans l’Etat de Floride) s’est ensuite reconverti pour la cause environnementale. Du reste celle-ci est à rendre compatible avec le développement d’Internet et de l’intelligence artificielle, grande consommatrice de données pour des optimisations salvatrices pour notre planète.
S’agissant du rapport Théry proprement dit, la France a été trop prisonnière du minitel (cité 66 fois dans le rapport contre 15 pour Internet). Gérard Théry et ses co-rapporteurs écrivaient « Internet, un précurseur de réseau d’autoroutes » comme pour indiquer qu’il ne s’agissait que d’un vulgaire prototype. Et l’erreur a été de ne pas anticiper le développement du Web, composante hypertexte et graphique d’Internet qui a permis son décollage dans les pays occidentaux en 1995 notamment avec les navigateurs Netscape et Explorer. C’est dans les années 1994-1995 que sont apparus les premiers géants américains comme Yahoo, eBay et surtout Amazon. Il est certes facile de réécrire l’histoire mais dans des phénomènes mondiaux, il est nécessaire d’adopter une approche qui ne soit pas franco-centrique.
Pour la fine bouche, il est indiqué page 16 « son mode de fonctionnement coopératif n’est pas conçu pour offrir des services commerciaux », « sa large ouverture à tous types d’utilisateurs de services fait apparaître ses limites, notamment son inaptitude à offrir des services de qualité en temps réel de voix ou d’images ». Il est vrai que c’était une contrainte à cette période qui a été largement contournée par les très hauts débits à commencer par l’ADSL sur la ligne téléphonique puis les différentes générations de télécommunications mobiles (GPRS, Edge puis 3G, etc.). L’erreur était du même genre que pour les micro-processeurs apparus en 1971 ne pas se projeter avec la loi de Moore et le doublement de la puissance tous les 18 mois.
Mais c’est surtout page 17 que les erreurs sont cruelles. La France qui s’abritait sur le minitel donné gratuitement et qui a permis d’atteindre un parc de 7 millions d’appareils en quelques années s’appuyait sur le fait qu’il reposait sur un standard international normalisé, X.25. Or Internet avec l’ouverture et le protocole TCP/IP a triomphé. Le rôle des pouvoirs publics et du Département de la Défense américaine au début a été déterminant même s’il faut le rappeler le Web n’a pas été inventé aux Etats-Unis mais en Suisse au CERN de Genève.
Vous trouverez l’extrait édifiant ci-après : « Les limites d’Internet démontrent ainsi qu’il ne saurait, dans le long terme, constituer à lui tout seul, le réseau d’autoroutes mondial ». Un bémol toutefois avec la fragmentation d’Internet et des pays qui ont la masse critique et qui développent leur propre réseau comme en Chine pour tantôt bénéficier d’Internet tantôt être autonome selon les cas.
Par rapport à l’absence d’annuaires, les réseaux sociaux ont constitué une réponse. Et pour la facturation, les plateformes oligipolistiques pour quelques-unes ont trouvé des solutions avec des formules Premium pour l’accès à des services à valeur ajoutée. L’introduction d’un nouvel outil nécessite une approche holistique en matière d’usages : à quoi ça sert, qui paye. Et finalement les acteurs en bout de chaîne se sont appropriés la valeur ajoutée au dépend des opérateurs de télécoms qui ont dû se repositionner pour exister.
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[…] à révolutionner notre quotidien. Et pendant ce temps, en France, on sort le rapport Théry (30 ans de la parution du rapport Théry sur les autoroutes de l’information), un chef-d’œuvre d’analyse visionnaire demandé par Édouard Balladur. Dans ce rapport, on […]