1. Quelle est la stratégie de développement de Qwant et quel est votre modèle économique ? Après le moteur de recherche respectueux des données personnelles, il semblerait que nous assistions à une éclosion de services autour ?
La stratégie de base repose effectivement sur notre moteur de recherche et la création de services autour.
Le modèle économique est celui qui a fait le succès du moteur de recherche de référence, à savoir trouver tous les liens vers les sites Internet disponibles, les afficher par ordre de pertinence et permettre à des annonceurs d’amener de l’audience vers leurs sites après un clic, avec des annonces qui correspondent aux mots clés saisis. C’est un modèle éprouvé façon AdWords sans retargeting, qui est celui qu’a employé Google jusque dans les années 2004/2005.
Nous n’utilisons en effet ni cookies ni dispositifs de traçage et l’historique de navigation de nos utilisateurs n’est pas enregistré.
Le leader des moteurs de recherche a désormais pour objectif que l’on reste chez lui en permanence. Or jusqu’en 2005, Google délivrait des réponses pertinentes et cela lui suffisait pour réaliser plusieurs milliards de dollars de chiffre d’affaires par an.
On s’aperçoit que certains pans n’ont pas été traités ou mal traités par le moteur de recherche dominant comme la musique ou les jeux.
Notre stratégie n’est pas de racheter des start-up tous azimuts sauf si cela a du sens pour améliorer notre moteur de recherche. Nous sommes plus sur des partenariats pour « envoyer » des clients. L’objectif est d’être neutre au niveau de l’écosystème et d’envoyer du monde partout.
Nous ouvrons vers tous les résultats qui délivrent de la musique, des jeux, du sport si l’on considère ces 3 exemples.
Concrètement, Qwant Music n’est pas un nouveau Deezer ou Spotify mais un moyen d’envoyer plus de monde. Avec Qwant Music, nous explorons Internet, les réseaux sociaux, les photos, les news, les vidéos en donnant aux utilisateurs des espaces de recherche ouverts. Nous permettons que les internautes accèdent partout sans restriction et quelle que soit la plateforme (SoundCloud, iTunes, Deezer, Facebook et même YouTube !). Si l’on recherche par exemple Pink Floyd sur Qwant et sur Google le nombre de titres et le nombre d’albums, on obtiendra 642 titres et 39 albums dans le premier cas, moins dans le second. Cela est un résultat objectif.
Par exemple, Universal Music, c’est 58 000 artistes signés mais contrairement au moteur de recherche dominant, nous délivrons une connaissance sur ces artistes, à travers des vidéos, des musiques. Le fait de crawler les infos sur les artistes permet d’avoir un marché pour Qwant… mais aussi pour iTunes et l’écosystème de musique. C’est l’inverse de ce que fait Google aujourd’hui.
Les différentes plateformes sont crawlées et ajoutées à Qwant, avec l’ajout d’éventuelles offres commerciales. Le but est qu’avec la pertinence les gens se connectent au site pour une action précise, avec une rémunération au clic. Il existe de nombreuses plateformes telles que SoundCloud qui ont fermé leur API pour que les moteurs de recherche ne puissent pas les crawler. Mais avec un partenariat, celles-ci peuvent être ouvertes et c’est ainsi que SoundCloud travaille avec nous et a ses contenus d’artistes référencés.
Pour les jeux vidéos, on délivre dans Qwant des informations sur les jeux, les gens qui les ont produit, les dernières actualités, les liens vers des endroits où les acheter. Nous avons un Qwant score avec une moyenne de leurs notes de tests et des liens vers chacune de ses plateformes pour les réseaux sociaux.
Nous développons aussi Qwant Maps, une carte qui délivre des résultats et ne nous traque pas alors que d’autres conservent en mémoire l’endroit où l’on était voici 2 ans à la même heure précise… OpenStreetMap fournit une base avec des infos géographiques crowdsourcées mais ne peut pas supporter l’étendue des services de Qwant. Ceci nous amène à refaire toute la base et la rendre cohérente avec une infrastructure qui tienne la charge.
Nous venons également d’annoncer un projet qui s’appelle Masq pour sauvegarder en temps réel toutes les données mais côté client, ce qui est une sécurité pour l’internaute.
2. Quelle est votre vision de l’éthique des données notamment personnelles ? Quid de votre offre après les révélations de Snowden en 2013 et le scandale Cambridge Analytica ces dernières semaines ?
Déjà, il existe plusieurs types de données : coordonnées GPS, personnelles, etc. La question est plus de savoir si vous pensez avoir la grippe par exemple, de comment reconnaître les symptômes de la grippe sans que ça soit inscrit dans votre historique de recherches que vous aviez la grippe et que ça soit utilisé à d’autres fins plus tard. Nous sommes dans le droit fil du RGPD et des propositions faites au niveau européen, à savoir on prend uniquement les données nécessaires pour résoudre la question posée mais pas les données pour faire autre chose demain avec des croisements avec d’autres types de données. C’est plus le principe du besoin d’en connaître pour résoudre un problème de requête. Nous n’avons pas besoin de connaître notre origine, taille, préférences de toutes sortes, etc.
Par ailleurs, les critères de popularité sont déterminés sur une population entière et pas forcément pour vous seulement. Par exemple, pour une requête sur Barcelone, selon la période, les résultats délivrés par Qwant peuvent différer, selon que se déroule le salon du mobile à Barcelone (Mobile World Congress), que le FC Barcelone joue un match de foot, etc. L’évolutivité des positions des résultats des recherches est faite en fonction de ce qui se passe selon les réseaux sociaux et sur Internet à un moment donné, ce qui reflète la vie réelle et non ce que vous seul faites.
Toutefois l’internaute reste libre d’avoir des données plus personnalisées en cliquant sur les réponses données en deuxième ou troisième position, etc. L’un des travers du moteur de recherche dominant est que si on croit aux extra-terrestres et que l’on clique sur des réponses ayant trait aux extra-terrestres, on va finir par avoir des suggestions sur les extra-terrestres dans des recherches futures et non pas adresser un cas particulier.
Concrètement, les résultats globaux des requêtes faites par l’ensemble des internautes remontent en premier sur Qwant alors que les résultats individuels priment de plus en plus sur Google et les autres moteurs. De ce fait, avec Qwant on contribue à la réduction des fake news en évitant de servir aux individus uniquement les contenus auxquels ils sont les plus susceptibles de croire.
Un monde où tout est connecté peut s’avérer inquiétant. La question est de savoir pourquoi on prend une donnée, comment et dans quel but elle est utilisée. Si lorsque votre enfant va sur Internet, est-ce que des informations sont exploitées et revendues, etc. L’apport des utilisateurs est crucial mais l’utilisation des données personnelles est dangereuse s’il n’existe aucune éthique et s’il s’agit juste de faire de l’argent.
Effectivement Internet a connu une phase 1 avec Snowden, une phase 2 avec Cambridge Analytica et cela ne va pas s’arrêter là. Le fait que le P-DG de Facebook passe devant la Commission fédérale du commerce américaine (FTC) va peut-être amener à ce que les gens se rendent plus compte de la captation et de l’exploitation des données. Et même les Américains réfléchissent à la vie privée… Cela ne va pas toutefois changer les business models qui sont comparables pour Google et Facebook. Google quand il n’avait pas vos données valait 100 milliards de dollars en Bourse, désormais c’est plus de 700 ! Des données qui peuvent avoir un intérêt financier pour sa banque, son assurance, etc. Est-ce que l’on trouve éthique par exemple de revendre les fichiers de personnes malades qu’un moteur de recherche possède ?
3. Quelles sont les alternatives face aux GAFAM ? Et quelles sont les perspectives pour Qwant notamment pour le développement à l’international ?
Il existe des acteurs éthiques. Les trois points clés sont que 1. L’Europe a le droit d’avoir un modèle différent de celui des Etats-Unis. 2. Créer une alternative a du sens. 3. Le droit de choisir une alternative doit être possible.
Aujourd’hui, 40 % de notre chiffre d’affaires est réalisé en France, 20 à 25 % en Allemagne, suivent l’Italie et l’Espagne. En 2013, nous avions 5 millions de pages indexées par jour, en 2016, 150. Depuis un mois 2 milliards de pages le sont quotidiennement. On peut commencer à indexer extrêmement largement.
Il est vrai que sur la longue traîne des résultats du moteur de recherche, Google va plus loin avec plus de résultats délivrés mais pour les premières pages – la très grande majorité des internautes ne consultent que les tout premiers résultats –, il n’y a pas d’avantage pour le moteur de recherche dominant. Nous n’avons pas la prétention de fournir du contenu pour un super-utilisateur qui irait à la page 6 ou 15 des résultats, ce qui reste l’exception.
Notre offre va pouvoir être répliquée sur une cinquantaine de pays, ce qui nous permettra de prendre des parts de marché et de poursuivre le lancement de Qwant dans d’autres pays. Par ailleurs, Qwant Junior est disponible pour les enfants, ce qui est un levier intéressant d’éducation et de sensibilisation au numérique. Nous avons encore de belles pages à écrire.
24 avril 2018
Eric Léandri a participé à la création de Qwant en 2011, moteur de recherche européen ambitieux, qui a pour objectif de décloisonner le Web et respecter à la fois les libertés des utilisateurs et la stabilité de l’écosystème numérique. Il est depuis 2016 président de Qwant.
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