Entretien avec Nicolas Martinet, journaliste pour Atlantico
NM : Facebook et Google ont été épinglés peu après les dernières élections présidentielles américaines pour avoir relayé de nombreuses fausses informations. Le New York Times qui reprenait le site américain Mediaite avait rapporté que l’une des fausses informations sur Google concernait la recherche suivante « Décompte final des votes à l’élection présidentielle 2016« . Le résultat N°1 proposé par Google était un lien vers le website 70 News qui titrait : « Donald Trump qui a remporté le Collège des Grands Électeurs était devant Hillary Clinton dans les votes populaires » alors que Trump a été élu avec moins de voix que Clinton. Le lendemain, cette fausse information était toujours n°2 sur Google.
DF : Avoir certains résultats positionnés en tête du moteur de recherche Google n’est pas un phénomène nouveau. Déjà sur Google en 2004 en tapant « miserable failure » (pitoyable échec), on aboutissait sur le site officiel de George W. Bush. En 2009, en saisissant « Michelle Obama » sur Google Image on aboutissait à une image d’un singe, montrant le caractère très raciste de l’opération. C’est ce que l’on appelle le Google bombing qui ne fait qu’utiliser l’algorithme mis en place par Google. A chaque fois, Google a présenté des excuses et a perfectionné son algorithme qui est évolutif et dont les failles peuvent être exploitées. Concrètement, pour se trouver en tête des résultats, une page doit avoir plusieurs liens et d’importance qui pointent vers elle. Nous sommes dans la popularité plus que dans la pertinence.
Dans l’élection de Trump, c’est un épiphénomène d’autant plus que les résultats des votes des Américains étaient proches, Hillary Clinton légèrement en tête et l’inverse pour les grands électeurs. C’est propre au suffrage universel américain qui est indirect et où certains Etats clés font basculer l’élection, en l’occurrence la Floride mais aussi l’Ohio, etc. En France aussi, nous avons eu par exemple la mairie de Marseille où dans le passé le maire a été élu avec moins d’électeurs mais du fait des arrondissements, le résultat final a été changé. L’élection américaine cristallise beaucoup car il y a eu beaucoup d’intox et une rare férocité propre aussi à la civilisation américaine dans la campagne. Et de surcroît le caractère vraisemblable d’une information peut être relayé sans grande vérification contribuant du même coup avec l’« indiscipline des foules » à la propulser de fil en aiguille en tête sur Internet via les résultats délivrés par les moteurs de recherche.
NM : Google et Facebook sont deux sites, deux plateformes qui fonctionnent différemment. Elles possèdent toutes les deux leur propre algorithme qui génère les contenus, à savoir, AdWords/AdSense pour Google et EdgeRank pour Facebook. Pourquoi ces fausses informations ont pu se propager sur les deux plateformes ?
DF : Une petite précision, l’algorithme ne génère pas les contenus mais les place en tête de gondole s’agissant de Google lors des recherches sur des critères précis ou les rend visible pour le facebooknaute. Ainsi par exemple avec les AdWords de Google, des résultats sponsorisés pour lesquels des marques ont acheté des mots clés selon un mécanisme d’enchères vont apparaître dans les premières positions et avec une présentation les mettant en valeur. En cliquant sur un lien qui ramène de l’audience vers le site, le site en question verse une somme prévue à Google (de quelques centimes à quelques euros). On parle de référencement payant. Et si le résultat n’est pas payant mais résulte du référencement naturel, il s’agit d’une combinaison de critères dont le nombre de liens pointant vers le site en question, le choix des titres, des mots, etc. qui vont faire en sorte qu’il apparaît plus ou moins bien placé. C’est l’art du référencement. Et c’est en connaissance de cause de ces techniques que l’on peut agir pour le meilleur et pour le pire.
Pour Facebook, le EdgeRank fait en sorte que toutes ses publications ne sont pas visibles de ses amis, fans, etc. dans sa timeline mais un pourcentage de celles-ci généralement autour de 10 % en fonction de critères comme les interactions respectives entre les 2 personnes (soi et son ami ou fan), le type d’action (un partage ou un commentaire ont une valorisation plus importante qu’une réaction ou un commentaire), la fraîcheur de la relation entre les deux comptes Facebook. Ce qui est plus visible peut par conséquent être relayé plus facilement car un utilisateur Facebook ne clique pas souvent sur le fil de publication de chacun de ses amis. Dans un réseau, on a des influenceurs, des personnes qui ont un capital buzz naturellement plus important et qui seront les nœuds dans la circulation et la viralisation d’une information qu’elle soit juste ou non, intéressante ou anecdotique, etc.
Après, la propagation d’une information (canular, fausse information) est plus facile si elle touche à l’émotion des personnes, est vraisemblable, au contexte du moment, etc. Des internautes sont responsables car pour certains ils relaient une information qui peut avoir des conséquences sans même la vérifier. Cela me rappelle une histoire que les Belges racontent « Savez-vous pourquoi les Français aiment tant les histoires belges ? Parce que la première fois ils l’entendent, la deuxième fois ils la répètent et la troisième fois ils la comprennent ». Nous avons une responsabilité collective de cet état de fait. Alors que tout va très vite à l’heure du Web 2.0 et des smartphones, il convient de pratiquer une diète de l’information et de ne pas sombrer dans l’infobésité. Prendre quelques instants pour lire une information avant de retweeter ou de la publier aveuglément, de démêler l’info de l’intox, etc. Une hauteur de vue est à observer en privilégiant la qualité sur la quantité, en séparant les faits (vérifiés) des interprétations et des jugements.
Signalons que Facebook n’a pas de politique éditoriale et a du contenu produit par les internautes eux-mêmes. Ce sont les internautes qui apportent de la valeur à la plateforme et nourrissent le marché des conversations qui intéresse les marques. Il faut bien comprendre que Facebook n’est pas un média en tant que tel, ce sont bien les internautes qui participent au contenu même si avec l’algorithme de Facebook, le EdgeRank certains contenus sont plus visibles que d’autres. Jean-Pierre Coffe disait « Mangez moins mais mangez mieux ». J’ajouterai « Publiez moins mais publiez mieux », ce qui reste assez difficile à mettre en place en pratique du fait que les réseaux sociaux sont addictifs avec la culture du scoop à l’info.
NM : Que pourraient faire Facebook et Google pour éviter que ces fausses informations ne se retrouvent à nouveau en tête des référencements sur Internet ?
DF : Des fausses nouvelles et rumeurs peuvent exister d’un côté comme de l’autre. Je pense que les deux outils sont à distinguer et ne peuvent pas agir au même niveau.
Pour le contenu sponsorisé de Google, c’est plus facile avec les recherches en intelligence artificielle menées par Google. On songe aussi à des critères éthiques dans l’acceptation d’une annonce pas toujours simples à mettre en place même si c’est une orientation voulue par Google du moins dans sa communication consécutive à ces récentes révélations car Big white ressasse son leitmotiv « Ne faites pas le mal ». Je pense que les GAFA auront plus encore à travailler avec Jean-Baptiste Rudelle, mon ami à la tête de Criteo installé dans la Silicon Valley. 😉
Pour Facebook, il est illusoire de vouloir et de pouvoir mettre un gendarme derrière chaque utilisateur. Mark Zuckerberg dans un communiqué a toutefois souligné que plus de 99 % du contenu était authentique mais que c’était l’epsilon qui posait problème. Une étude du Pew Research Center démontre aussi que Facebook est utilisé comme une source d’information et Facebook a eu un rôle indéniable dans les mouvements démocratiques en Tunisie par exemple.
Facebook est certes hébergeur du contenu mais avec désormais 2 milliards de comptes, vouloir tout modérer est une politique vaine et coûteuse. Cela reste techniquement impossible. En outre, il n’est pas souhaitable que Facebook soit l’arbitre ultime du contenu publié. Ceci reviendrait à donner tout pouvoir à un big brother qui déciderait ce qui est bien ou mal et mettrait le curseur là où il l’entend. La liberté d’expression ou censure ne peut être contrôlée entièrement par une entreprise privée surtout si les critères sont forcément objectifs au-delà de quelques dérapages qui font l’unanimité pour le retrait ou la sanction.
Dans tous les cas, pour participer à la qualité du contenu, nous avons besoin de rechercher un mix entre algorithmique et traitement automatique et rôle humain. C’est ce que j’ai toujours affirmé mais cela demande beaucoup d’énergie et aussi une auto-régulation du réseau qui est possible quand les utilisateurs eux-mêmes gagnent en maturité numérique.
NM : Après ces révélations concernant Google et Facebook aux Etats-Unis, à quoi faut-il s’attendre pour la France ?
DF : Comme je l’imaginais, la campagne 2017 a senti le hareng fermenté de 100 ans digne d’une dégustation au restaurant de Fort Boyard… Il est fort probable qu’à l’avenir nous assistions à des fausses rumeurs savamment préparées pour faire le jeu pour tel ou tel candidat dans le cadre d’élections par exemple et cela fut le cas à différents degrés pour la présidentielle 2017. Ceci rend plus difficile le rôle de chaque internaute dans la recherche de la vérité et le repérage des signaux faibles. Mais si Internet et les réseaux sociaux avaient existé au temps de Mitterrand, sa double vie aurait éclaté au grand jour alors même que Jean-Edern Hallier avait été muselé. Nous n’avons pas que des côtés négatifs et d’intox mais un véritable contre-pouvoir qu’il convient de savoir utiliser et maîtriser en complément des médias traditionnels – il ne faut pas les occulter dans la nécessaire complémentarité vie physique / vie virtuelle. Notre devoir est de tirer par le haut les internautes français pour qu’ils ne consomment pas Internet comme du « temps de cerveau disponible ». Et c’est là que toute l’éducation critique à l’information trouvée sur Internet prend tout son sens.
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