1. Vous avez créé Cityzen Sciences en 2008 pour investir le marché des textiles connectés. Quelles ont été les étapes de la croissance de votre entreprise et quels sont aujourd’hui vos produits ?
J’ai créé l’entreprise en 2008 dans la réflexion qui n’était pas aboutie à l’époque de faire du textile connecté. Pour structurer ma réflexion, j’ai regardé les travaux d’analyse qui étaient menés dans les centres de recherche. J’avais par ailleurs travaillé sur la captation de données dans l’industrie pharmaceutique et je voulais voir ce que cela pouvait donner dans le textile. Je ne suis pas issu du monde du textile et porté naturellement par le domaine. Mon regard est extérieur et aussi critique.
On voyait des sportifs qui portaient 3 ou 4 appareils avant de mettre leurs chaussures afin de mesurer des informations physiologiques ou physiques. Cela me paraissait très encombrant à la fois matériellement et pour l’esprit et excessif.
Mon idée était de regarder les usages et comment ils se confirmeraient dans le temps afin de comprendre s’il s’agissait d’un effet de mode ou durable. De là est née la réflexion dans le secteur du sport mais aussi dans celui de la santé. J’ai en effet regardé ce que faisaient les centres de recherche, par exemple au MIT et ai étudié la réflexion sur la miniaturisation des capteurs qui me paraissait essentielle.
J’ai considéré que la question des usages était à se poser avant celle des technologies. Ensuite je me suis fait la remarque suivante. Chacun prend trois choses en sortant de chez lui : son téléphone, ses clés, et le fait d’être habillé. Je peux oublier mon téléphone ou mes clés mais rarement de m’habiller. D’où l’idée de mettre les capteurs dedans à la fois pour moi et pour les gens qui auraient besoin d’un recul sur leur habit.
Je me suis rendu compte que ce médium était intéressant, on le porte tout le temps et il n’est pas invasif dans le quotidien. De surcroît, tout le monde le porte (enfants, adultes, seniors) et n’est pas encombrant. Le textile est en effet présent partout : dans une voiture, dans un avion, sur soi !
Après la réflexion technique – est-ce que cela tient la route ou non ? – a été conduite. Pour voir ce que l’on pouvait réaliser en matière d’innovation, nous avons rencontré Oseo qui ont été séduits. Avec une dimension R&D et une dimension industrielle, 7 millions d’euros nous ont été accordés.
En matière de développement, on commence à commercialiser des produits en 2015 avec des gros contrats en France et au Japon. Le Japon est fort consommateur d’innovation sans trop de contraintes réglementaires et aussi moins de contraintes dans la tête des consommateurs. Ils sont aujourd’hui les seuls à fabriquer des fibres textiles avec des micro-capteurs intégrés de très haute valeur ajoutée.
Le marché est B2B et nous vendons à des clients comme Asics, Uniqlo, Goldwin qui est un ensemble de marques avec par exemple The North Face dans le sport, le trail, la randonnée avec des capteurs différents selon l’activité à suivre. Nous ne livrons pas de solution sur étagère mais sommes dans une logique Fab Lab pour du sur-mesure avec des objets construits en fonction des usages pressentis.
2. Comment s’est opéré le financement de l’entreprise ? Pourriez-vous nous dire un mot sur votre participation au dernier CES de Las Vegas et le prix que vous avez obtenu ?
L’ensemble du financement a été effectué sur fonds propres. Au capital ne figurent que des investisseurs privés dont moi. Ensuite Oseo effectivement a financé mais n’est pas rentré au capital car ne le font pas au 1er tour. Nous sommes cependant en train de préparer une très grosse levée de fonds pour la suite de notre développement.
La particularité de notre entreprise est que lorsque l’on parle de Cityzen Sciences, on évoque la partie matérielle. Nous avons deux autres entités, la partie Cityzen Data pour l’analyse de données dans le mode big data avec notre propre langage avec un outil qui est dans notre métier, le langage Einstein car on indexe à la fois chacune des données traitées dans le temps et dans l’espace ainsi que la valeur de la donnée elle-même. Et enfin Cityzen Connect pour l’analyse des solutions de télétransmissions de objets.
Le tissu connecté correspond à l’envie de faire de la donnée qui soit riche et nouvelle. On va
enrichir les bases de données et les traitements sur des informations nouvelles sur la mode de captation et la capacité volumétrique.
Au CES de Las Vegas, j’ai présenté un nouveau produit, un cuissard pour des gens qui font du vélo. Ce produit correspond aux activités ludiques et pas seulement sportives. Il s’adresse à des personnes qui veulent suivre leur performance. Le cuissard comprend un capteur de fréquence cardiaque, un GPS intégré avec intégration des fils connectés dans le tissu et c’est l’ensemble de l’architecture qui a été primée. Nous avons été récompensés à la fois sur la partie quantified self et sur le wearable en général.
3. Enfin, quels marchés voyez-vous connaître une croissance très importante en matière d’Internet des objets ? Et selon vous quels sont les standards ou les projets de norme à suivre dans le domaine ?
Sur l’expansion de l’Internet des objets, tout dépend de ce que l’on met derrière le terme.
La dernière étude du cabinet Gartner montre que le volume de réponse attendue dans le sport, la santé va effectivement décoller et être énorme dans les 5 prochaines années. On va ouvrir des portes sur de nouveaux usages. Avec une limite toutefois, la nécessité de conduire les données et de pouvoir tout connecter à ce monde.
Les objets devront ne pas être encombrants, ne pas pénaliser le quotidien. Il n’est parfois pas naturel de devoir manipuler les informations et les agréger. Nous aurons une phase d’intégration et de travail intelligent avec une épuration des objets qui ne servent à rien… L’écrémage va permettre de ne conserver que les objets utiles et on va aller vers moins de boutons, la simplicité mais aussi l’intérêt de l’objet lui-même.
On aura forcément des normes car les objets connectés seront de plus en plus intrusifs et parce que l’on réglemente très vite en France. On pourra tendre vers une anonymisation des données. On parle par exemple de la réglementation pour les drones. Celle-ci va se faire naturellement. Hormis cela, il conviendra de s’assurer que l’on est pas intrusif pour l’homme au sens physique du terme (par exemple un capteur qui pique l’épiderme et touche le sang pose problème alors que si le capteur est simplement posé sur sa peau, il n’en est pas de même). Ces aspects seront abordés dans la réglementation. Nous aurons surement des problématiques réglementaires qui vont naître sur des détournements possibles d’objets touchant à la cybersécurité de l’Internet des objets.
23 mars 2015
Jean-Luc Errant, est Président-fondateur de Cityzen Sciences, spécialiste des textiles connectés
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