1. Dans votre essai « Allons enfants de l’Internet », vous montrez que la démocratie directe est révolutionnée. Vous parlez même de « révolution citoyenne planétaire ». Où nous situons-nous dans ce processus ? Avec les réseaux sociaux, un phénomène d’accélération ne va-t-il pas s’opérer ?
Je pense que nous n’en sommes qu’aux prémices de ce qui peut se passer en matière d’impact de l’Internet sur la démocratie. La première phase fut marquée par les origines de ce que l’on appelle le Web 2.0. Ce fut le développement massif de l’expression des individus sur Internet. Nous étions en 2005. Mais cette expression fut aussi spontanée que brouillonne et non organisée. À ce titre les réseaux sociaux ont contribué à faire avancer les choses. Des zones d’influence ont commencé à se dessiner sur la toile et le phénomène prend chaque jour un peu plus d’ampleur. Les internautes se regroupent, forment des communautés qui deviennent actives au gré de l’actualité.Le pouvoir politique commence à s’en rendre compte, souvent à son détriment d’ailleurs, à la faveur de phénomènes de buzz qui les dépassent. On peut citer à cet égard l’épisode des “apéros Facebook” qui a stupéfait les gouvernants par leur ampleur et leur vitalité, en même temps que cela soulevait des questions de sécurité publique. Aujourd’hui, le pouvoir politique est conscient de la nécessité de prendre en considération ce qui se passe sur Internet et le montre en organisant une veille systématique de ce qui se dit sur la toile. C’est pour cela que je parle dans mon livre de “démocratie inspirée”, une sorte d’étape entre la démocratie représentative dans laquelle nous vivons et la démocratie participative vers laquelle beaucoup de citoyens aimeraient tendre.
2. Que pensez-vous de la qualification de « 5e pouvoir » de Thierry Crouzet ? Et comment Internet révolutionne-t-il la démocratie locale ?
D’un point de vue intellectuel, j’aime bien cette notion de 5ème pouvoir car elle est très figurative et rend compte d’un phénomène nouveau. Cependant, je pense qu’il faut être prudent dans son utilisation, pour au moins deux raisons. Premièrement, dans l’esprit même de ce qu’est une démocratie, le peuple détient le pouvoir et le fait qu’il puisse s’exprimer sur Internet constitue moins l’émergence d’un nouveau pouvoir que la valorisation ou l’amplification d’un pouvoir existant. Le schéma dans lequel nous avons vécu pendant de nombreuses années était un schéma dominé par l’écrasante domination des médias traditionnels qui ne permettent pas à la singularité de l’individu de s’exprimer dans toute sa diversité. Le pouvoir des citoyens ne pouvait alors se matérialiser que par l’élection. Aujourd’hui, les citoyens peuvent s’exprimer à tout moment. Ils ne disent pas des choses nouvelles mais ils deviennent pour la première fois massivement audibles. C’est pour cela que je ne crois pas qu’il s’agisse vraiment d’un nouveau pouvoir.
La deuxième raison vient du fait que je me méfie toujours des approches qui tentent d’isoler Internet et le ranger dans une case différente et en marge des autres phénomènes. Internet n’est pas ghetto, ce n’est pas un monde à part et ce n’est pas lui rendre service que de le présenter comme tel. Comme je l’écris à plusieurs reprises dans mon livre, je crois qu’Internet représente la duplication sur la toile de la société que nous connaissons et que nous vivons. Je récuse toute affirmation qui présenterait le net comme un espace virtuel. Pour moi, le net est aussi réel et concret que ce que nous appelons “la vraie vie”. Il est peuplé d’individus aussi formidables, exceptionnels, redoutables, banals que ceux que nous côtoyons au quotidien. Ce qui change, ce ne sont pas les habitants du net mais plutôt les règles de vie en commun et le pouvoir du média lui-même. Pour cette raison, prétendre qu’Internet serait à lui seul un pouvoir spécifique me paraît abusif et contre productif.
3. Pourriez-vous nous présenter l’association « Internet sans frontières » que vous avez fondé ? Et quelles sont ses réalisations ?
Internet sans Frontières est une ONG que j’ai créé en 2008 pour promouvoir la liberté d’expression sur Internet. C’est une association évidemment apolitique et elle se fixe trois champs d’actions : la formation, le co-développement et la sensibilisation de l’opinion.
Nos programmes de formations consistent à former les personnels du monde associatif et d’autres ONG à l’utilisation d’Internet au service de la solidarité. Nous aidons des acteurs de terrain à utiliser les ressources du Web 2.0 pour témoigner de leurs actions au service des populations qu’ils ont décidé d’aider. Pour ce qui est du co-développement, nous travaillons au lancement de programmes à destination de pays francophones pour développer la pratique de l’Internet. Nous avons le projet de développer des chairs de journalisme 2.0 au sein d’écoles de journalisme en Afrique sub-saharienne afin de sensibiliser les futurs journalistes du pays aux techniques de publication en ligne. Enfin, le volet sensibilisation concerne l’information du grand public et l’activisme visant à défendre les libertés sur Internet. Nous avons travaillé avec le Ministère de la Jeunesse et des Solidarités actives pour apporter une réponse aux questions posées par le développement de l’utilisation des réseaux sociaux par les jeunes. Nous faisons partie des organisations partenaires du Ministère des Affaires Etrangères pour sa grande conférence ministérielle sur la liberté d’expression sur Internet. Nous défendons également la cause de certains cyber dissidents, comme actuellement celle de Hossein Derakhshan, le “père” de la blogosphère iranienne, emprisonné depuis deux ans et condamné récemment à 19 ans de prison ferme pour avoir simplement exprimé son point de vue sur son blog. Internet sans Frontières est une association financée par les dons des particuliers et j’invite toutes les personnes qui sont sensibles à la préservation de la liberté d’expression sur le web à nous soutenir.
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29 septembre 2010
Christophe Ginisty, Directeur de Rumeur Publique, blogueur, entrepreneur, est Président-fondateur de l’association Internet sans Frontières dont l’objectif est de promouvoir la liberté d’expression sur le web. Il a publié récemment Allons enfants de l’Internet.
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