1. Comment définiriez-vous la cyberculture ? Et quels sont les facteurs d’attraits des jeux vidéos et des mondes virtuels de type World of Warcraft chez les jeunes ?
« Cyberculture » est un mot qui a été à la mode durant les années 1990 mais que l’on n’entend plus énormément. Il se réfère à la culture artistique liée à l’interactivité, aux déclinaisons de l’informatique que sont Internet, les jeux vidéo, le multimédia, la robotique… Il se trouve qu’au tout début des CD-ROMs, sont apparues des oeuvres interactives qui laissaient à penser qu’une nouvelle forme d’art était en train d’apparaître, notamment une oeuvre foldingue réalisée par le groupe The Residents. Pourtant, très vite, le CD-ROM s’est standardisé. Nous avons vu réapparaître une forme d’art interactive inédite avec les villages de robots de Chico Mc Murtrie, qui interagissent avec les visiteurs comme entre eux. Pourtant, l’interactif reste un mode d’expression artistique encore peu développée. D’une certaine façon, le jeu vidéo est l’expression la plus riche et la plus artistique en la matière (les divers Final Fantasy, etc.).
Quant aux jeux en lignes tels que World of Warcraft, ils exercent un attrait fabuleux car ils permettent d’endosser une seconde peau, une autre identité. La force d’un jeu en ligne est la somme de plusieurs imaginaires, celle du créateur de jeu en premier lieu, bien évidemment, mais aussi l’imaginaire des joueurs.
2. Que pensez-vous des diversifications stratégiques qu’ont opéré Apple et Google ? Quelles failles potentielles voyez-vous dans la conquête du Web entreprise par Google ?
Apple a axé sa diversification sur les iPods / iPhones. C’était un coup de maître dans les deux cas puisqu’une nouvelle génération s’est habituée à penser que Apple, c’était la marque la plus cool. Toutefois, ce sont en partie des phénomènes de mode et le challenge va être de demeurer à la mode dans la décennie suivante, alors qu’une génération cherche souvent d’autres modèles que la précédente. Pour ce qui est de Google, il est trop tôt pour dire si Chrome va percer. Android, le système pour les téléphones, me paraît plus ambitieux à long terme. Fondamentalement, la force de Google, ce sont les mots clés publicitaires qu’ils vendent aux enchères. N’importe quelle activité au monde peut acheter des mots clés à Google : « pompe à vélo », « valise », « pales d’hélicoptères »… Cela signifie qu’ils ont comme client le monde entier. S’ils parviennent à reproduire et imposer ce modèle sur les téléphones, ils pourraient gagner encore plus d’argent que sur le Web…
Microsoft avait la chance de racheter Overture en 2003, la société qui a inventé les Adwords. Elle ne l’a pas fait, estimant qu’elle pouvait développer mieux en interne. Si elle l’avait fait, Google aurait été à la merci potentielle de Microsoft. Elle ne l’a pas fait et aujourd’hui Google est la seule société qui puisse inquiéter Microsoft. Maintenant, avant qu’un nouveau venant puisse inquiéter Google, il faudra peut-être 10 ou 20 ans. La percée de Google a été dûe à un concours de circonstance extraordinaire que je décris dans un livre. En deux mots, la perte de crédit des start-ups Internet entre 2000 et 2003 a permis à Google d’avancer calmement sans inquiéter qui que ce soit. Ce n’est qu’en août 2004, après l’entrée en Bourse de Google que le monde a découvert qu’un titan s’était installé.
3. Quels liens voyez-vous entre NTIC et musique ? MySpace séduit les musiciens mais a été dépassé en audience par Facebook. Que pensez-vous de cette situation et que devrait faire MySpace pour trouver un second souffle ?
La compétition entre Facebook et MySpace est artificielle, elle n’existe que pour ces deux entreprises. Elle ne concerne pas les utilisateurs eux-mêmes. Fondamentalement, ils servent deux objectifs différents. MySpace est davantage un lieu où l’on expose aux autres ce que l’on sait faire. Facebook est un outil permettant de renouer avec ses anciens amis et de partager quelques informations avec son réseau. Il n’a pas la même vocation. Pour ce qui est de l’informatique et de la musique, les liens sont de plus en plus forts. Dans les studios d’enregistrement, le disque dur a remplacé les bandes. On peut copier-coller, effacer un bout de piste sans danger, recaler un beat de façon parfaite si on le souhaite, produire à la maison des disques d’une qualité studio. Une chose demeure : l’outil lui-même ne procure pas le talent. Il faut toujours garder en mémoire que le chef d’oeuvre des Beatles, Sgt Pepper’s, l’un des deux ou trois disques généralement considéré comme le summum de l’histoire du disque, a été enregistré artisanalement sur un magnétophone quatre pistes ! Le numérique a pour défaut de rendre facile de créer de beaux effets. Pourtant, un bluesman avec une guitare sèche va soulever un public dix fois plus fort que ne pourrait le faire musicien électronique derrière ses machines. L’informatique a révolutionné la façon de faire la musique et de la distribuer. Pourtant, « the real thing » se passe sur scène, et l’informatique n’y peut pas grand chose.
18 septembre 2008
Daniel Ichbiah est écrivain, musicien et reporter vidéo. Daniel Ichbiah a écrit deux livres publiés internationalement : Bill Gates et la saga de Microsoft (1995) et Robots, genèse d’un peuple artificiel (2005). Parmi ses autres succès figurent Sauver la Terre (2007), Enigma (2007), Madonna Pop Confessions (2006), La saga des jeux vidéo (1997, 1998, 2004). Il est par ailleurs auteur d’un grand nombre de guides sur les jeux vidéo, la musique et Internet.
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