1. Pourriez-vous nous présenter l’Agence Mondiale de Solidarité Numérique ? Comment se positionne-t-elle consécutivement aux SMSI de Genève et de Tunis ?
L’AMSN est actuellement une association loi 1901 à vocation internationale. Elle est basée à Lyon et a été créée en 2005 par la Communauté urbaine de Lyon suite aux différents Sommets mondiaux sur la société de l’information (SMSI), organisés à Lyon et Genève en 2003 puis à Bilbao et à Tunis en 2005. En amont des sommets de Genève et Tunis, une semaine auparavant respectivement à Lyon et à Bilbao se sont réunies des responsables d’autorités locales du monde entier lors du Sommet mondial des villes et des pouvoirs locaux sur la société de l’information. Elles ont adopté une déclaration et un plan d’action et sont, fait historique, montées à la tribune de l’ONU pour les présenter.
À Lyon le président du Sénégal Monsieur Wade et d’autres chefs d’Etats africains sont venus proposer le fond mondial de solidarité numérique. Ce fond est nécessaire pas tant pour les grands projets d’infrastructure (câbles sous-marin, satellites) qui trouvent facilement des bailleurs comme la Banque mondiale mais pour les petits projets communautaires où se joue la fracture numérique (projets de formation, de développement de contenus locaux, d’équipement d’écoles, de renforcement de capacité, etc.). Les villes se sont déclarées favorables au fond qui a été inauguré à Genève le 15 mars 2005. Son mode de financement est basé sur la cotisation de ses membres fondateurs et à moyen terme sur la mise en place d’un mécanisme de financement innovant, le « 1 % numérique ». Aujourd’hui 27 membres fondateurs constituent le Conseil d’administration. La gestion du fond est basée à Genève ; quant à l’agence d’exécution, le Maire de Lyon, Gérard Collomb, avait proposé de l’accueillir à Lyon, ville en pointe sur les technologies de l’information.
L’agence fait un travail de veille et d’expertise au bénéfice des différents acteurs locaux de la solidarité numérique : villes et pouvoirs locaux, entreprises, universités, institutions, bailleurs de fonds, ONG, etc. Son rôle est de catalyser les projets (assembleur technique entre les acteurs) de solidarité numérique que l’agence accompagne.
2. Comment passe-t-on de la « fracture » à la « solidarité » numérique ? Sur quels critères retenez-vous les projets à financer ? Quels sont les résultats attendus ?
La fracture numérique est essentiellement le constat d’une inégalité d’accès à Internet, 4,7 % d’internautes africains. Il est important de la décrire précisément et de l’actualiser dans un contexte qui change très vite (en termes de matériel, d’infrastructure, de formation). A contrario, la solidarité constitue une réponse. Depuis l’émergence de la société de l’information jusqu’en 2003, on entendait surtout parler de fracture numérique. La notion de solidarité numérique est postérieure et elle est née de l’idée que dans une société mondialisée le destin des pays sont liés, solidaires. L’avenir des pays industrialisés se joue aussi dans les PVD : des marchés peuvent se développer dans le Sud, ce qui représente de nouveaux débouchés. La solidarité propose une meilleure inclusion des populations. Sans solidarité, les inégalités économiques, sociales et culturelles ne peuvent que se creuser. Les technologies de l’information et de la communication ne sont pas une fin en soi, elles constituent un levier puissant du développement.
Le 1 % numérique devrait, je l’espère, être mis en place plus largement cette année, grâce à la tenue d’une conférence mondiale sur la solidarité numérique. Ce mécanisme de financement innovant consiste à prélever 1 % de la transaction sur les marchés publics informatiques et télécom pour le reverser au Fonds de solidarité numérique. Il est basé sur le libre volontariat des villes, institutions ou entreprises, prêtes à l’appliquer sur leurs marchés publics. Ces fonds récoltés alimentent des projets aujourd’hui dépourvus de financement. Ce mécanisme est compatible avec les grandes règles du commerce mondial et il existe une corrélation entre le secteur de prélèvement de ce pourcentage de solidarité et le secteur où il sera dépensé. Pour information, le montant estimé « chiffre d’affaires numérique » dans le monde s’élève à 2 600 milliards de dollars par an. On voit bien qu’un faible pourcentage de cette manne financière suffirait pour tendre vers un accès universel à la société de l’information. Les villes de Lausanne et Genève appliquent sur leurs marchés publics informatiques le 1 % numérique depuis plusieurs années sans difficultés particulières. Les entreprises bénéficiaires des marchés publics jouent le jeu. Reste à étendre ce mécanisme dans un espace géographique beaucoup plus large.
Les critères d’éligibilité des projets pour le fond de solidarité numérique sont multiples et reposent notamment sur la provenance géographique des projets. Cette provenance repose sur une classification de l’ONU : 60 % des fonds sont destinés aux populations des pays les moins avancés (PMA), 30 % aux pays en voie de développement, 10 % aux pays en transition et développés qui connaissent eux aussi une fracture numérique. L’Inde ou la Chine qui sont pourtant de nouveaux leaders dans le secteur numérique et même certains pays développés en Europe de l’est connaissent des disparités importantes dans l’accès universel aux TIC. D’autres critères sont pris en compte. Le financement s’adresse à des communautés locales (associations de femmes, populations rurales, associations de jeunes, groupes spécifiques comme les autochtones, les handicapés). Nous soutenons également les projets qui favorisent la création de contenus locaux, ceux qui ont recours au micro crédit. Nous ne finançons pas les grosses infrastructures de télécommunications (backbone ou satellite) mais privilégions les partenariats public-privé, les partenariats Sud-Sud, la réplicabilité, les projets cofinancés, l’usage des logiciels libres. Le montant pluriannuel des projets ne doit pas dépasser 500 000 euros. Ces critères ont été proposés, discutés et adoptés dans le cadre des sommets de Lyon et de Bilbao.
3. Et quelles sont les opportunités pour certains pays d’Afrique de sortir du sous-développement avec le numérique ?
Les constats faits en 2003 ont fortement évolué. En 2003, nous partions de très bas. En l’espace de 5 ans, la téléphonie mobile a explosé en Afrique et Internet s’est développé fortement dans les grandes villes d’Afrique, surtout dans les zones côtières où la densité de population est plus forte et où l’on a des axes électriques. Mais l’on a également des fractures rural/urbain, est /ouest, nord/sud, etc. Des pays comme le Maroc, l’Afrique du Sud, le Ghana ou le Sénégal font preuve de beaucoup de dynamisme dans ce domaine. Beaucoup d’actions sont faites avec le secteur privé et des grands bailleurs de fonds internationaux comme la Banque mondiale sont très actifs. Avec un décalage temporel, on revit parfois les situations de monopole avec les opérateurs historiques, ce qui freine l’arrivée de la connectivité à l’intérieur de l’Afrique et ne favorise pas la baisse des prix. Cependant, l’Afrique a un appétit très fort en matière de télécommunication de part sa culture orale, le nécessaire désenclavement rural et la jeunesse de sa population. Internet constitue un moyen d’accès puissant à la connaissance et un moyen de lutte contre l’illettrisme. L’ordinateur symbolise cet objet d’accès à la connaissance qui permet l’éducation mais aussi de nombreuses applications à forte valeur ajoutée comme la télémédecine et l’e-gouvernement (cadastre en ligne, état-civil, etc.). Hormis quelques exceptions on constate une corrélation entre l’accès à l’information (le développement d’Internet est un exemple) et le développement général d’un pays.
15 février 2008
Jean Pouly est Secrétaire Général de l’Agence Mondiale de solidarité numérique basée à Lyon. Il a précédemment travaillé dans la solidarité numérique dans une ONG et a coordonné la mise en œuvre du Programme Lyonnais pour la Société de l’Information.
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