3 questions … à Bertrand Leblanc-Barbedienne

1. Vous partagez une veille intense via le site souveraine.tech et vous avez créé et assuré 3 éditions du forum de la souveraineté à St Malo. Est-ce que selon vous la France est partiellement souveraine en matière numérique ou très dépendante des Etats-Unis et de la Chine ? Dans ce contexte pouvons-nous encore parler de souveraineté numérique française ou européenne ?

Tout d’abord, j’aimerais vous remercier pour votre invitation.

La souveraineté ne se définit pas de manière négative comme le Conseil d’Etat nous y invite curieusement. La souveraineté, ça n’est pas la “maîtrise de nos dépendances”. Comment est-il concevable de définir le socle de notre régime par ce vilain oxymore ? Nul ne maîtrise ses dépendances, c’est complètement absurde. Soit vous maitrisez la situation, soit vous dépendez de tiers pour ce faire. La souveraineté, c’est la manifestation d’une volonté politique, celle du peuple, à travers la nation. C’est le fait de n’être « soumis » qu’à nos propres lois, à notre propre juridiction.

Interview de Bertrand Leblanc-Barbedienne

Bien évidemment, l’indépendance absolue, cela n’existe pas. Nous sommes de toute façon investis, en tant que nation, dans un commerce avec les autres nations. Et cela est bon. Mais il n’est pas faux de dire que nous dépendons de la Chine et des Etats-Unis de deux manières différentes. Nous dépendons de la Chine (avec Taiwan et la Corée du Sud) en matière de ressources minières et de capacité de manufacture de composants matériels tels que les microprocesseurs. Mais il n’y a là rien d’inéluctable pour qui sait regarder au loin. Le sens politique dispose normalement les Hommes à inscrire leur action dans le temps long. Rien ne dit que nous ne serons pas capables de nous approvisionner autrement demain, à moyen ou long terme, voire même de découvrir des matériaux dont nos sous-sols seraient riches, et dont les propriétés conductrices pourraient pallier facilement nos carences dans celles que nous ne possédons pas. Nous pouvons aussi syndiquer nos forces entre nations européennes. Cela étant, il existe d’ores et déjà en France des entreprises telles que SiPearl qui nous invitent à ne pas rougir de notre capacité technologique en matière de puces dédiées au calcul de haute performance.

S’agissant de notre dépendance aux Etats-Unis, elle est me semble t-il d’un tout autre ordre. Nous sommes dominés par eux psychologiquement. Nous vivons sans le dire un complexe d’infériorité à leur endroit. Et Donald Trump l’incarne à merveille. Les images qui nous parviennent des rencontres publiques entre notre président et celui des Etats-Unis relèvent de l’humiliation symbolique, comportementale ou verbale, par l’outrage, le mépris, l’ironie ou le second degré. Une fois n’est pas coutume, je ne veux pas m’étendre sur la “tech” américaine, sa capacité de financement et d’adoption du marché américain ou encore l’alignement entre les besoins d’un Etat doté d’une vision politique structurée et ceux d’entreprises technologiques privées en capacité de lui donner forme moyennant des tombereaux de financements et de commandes. La seule chose qui compte et que nous ne voulons pas considérer est que les Etats-Unis d’Amérique affirment leur puissance quand nous attendons fébrilement qu’ils nous la reconnaissent. Nous sommes culturellement harcelés et il devient urgent de bomber le torse, en nous appuyant sur nos valeurs ancestrales et non plus sur le salmigondis d’injonctions démagogiques qui en fait tristement office aujourd’hui. Ce que ne comprennent pas ceux qui n’ont pas lu le dernier ouvrage d’Alex Karp de Palantir (République Technologique), pour lesquels je n’ai aucune sympathie, c’est que les Etats-Unis n’ont jamais cessé d’agir comme des pionniers lancés dans un monde périlleux. Leur conception du projet public-privé aurait dû nous inspirer au lieu de provoquer chez nous des cris d’orfraie, de mauvais foi, de surcroît.

2. Le général de Gaulle avait lancé le Plan calcul en 1966 pour assurer l’indépendance de la France face à la montée en puissance des Etats-Unis. Il a eu pour conséquence la création de la CII, le développement des SSI muées en ESN au premier rang desquelles Cap Gemini et le développement du réseau Cyclades, précurseur d’Internet. Faudrait-il un grand plan numérique et IA pour la France et comment ? Enfin quant aux données notamment personnelles qui sont le carburant de la société de l’information que préconisez-vous par rapport à leur stockage dans des serveurs américains (Health Data Hub, Palantir, etc.) et assurer leur protection ?

Ce n’est pas d’un plan dont la France a besoin, mais d’un chef courageux, bon et incontesté, capable de rétablir la concorde dans notre pays. Un nouveau plan serait le fait de technocrates quand il ne serait pas D’ABORD l’émanation d’une VISION. Là encore, le sujet de l’IA tombe dans l’ornière de l’économisme. Nous ne cherchons guère qu’à optimiser l’optimisation de la puissance de calcul. Mais pour quoi faire ? Au service de qui, de quoi ? Notre continent ne croit plus en rien et cela semble trop compliqué pour lui de se représenter la dimension anthropologique des enjeux d’intelligence artificielle. Le numérique, c’est le règne du nombre, de la quantité, leur gouvernance, comme diraient Guénon ou Supiot. Mais il est chaque jour plus clair que l’Homme sera sacrifié sur l’autel de sa fascination pour la parfaite et froide infaillibilité du calcul. Que pourrait un plan contre cela ?

Quant aux données dont les IA se nourrissent, nous en avons offert des frigos entiers aux boîtes américaines qui viennent nous les revendre aujourd’hui après mise en sauce. Je ne cède rien au pessimisme cependant, parce que je reste convaincu que le Politique peut tout. Et que le désespoir en politique est une sottise absolue, comme écrivait le poète. Mais cela suppose non pas de faire nation, comme disent les cuistres, mais de prendre conscience que notre nation continue de nous faire, avec l’impérieuse obligation de demeurer souverains, c’est-à-dire de rester libres, et d’abord libres en nos âmes et consciences.

3. Enfin, en matière d’administration électronique, quels sont les opportunités et les risques de l’identité numérique alors que l’on parle de ChatControl en Europe, que la Suisse et le Royaume-Uni ont dit oui à une identité numérique ? N’est-ce pas pour plus de facilité d’usage un risque dystopique de contrôle social, d’invalidation de certaines fonctionnalités (par exemple paiement hors impôts) si certains comportements citoyens ne sont pas respectés (trop de consommation de CO2, pas à jour de ses vaccins, etc.) ?

Je crois que l’une des raisons du succès de Souveraine Tech tient à la bonne foi avec laquelle nous nous efforçons d’appréhender tous les sujets techniques. Derrière les deux infâmes projets que constituent le “ChatControl” et l’identité numérique, qui ne perçoit les bases d’un débat idéologique facilement caricaturable ? L’ordre implacable et sécuritaire contre la criminalité et la dissension factieuse. Ou bien alors le “technofascisme” (sic) contre la Liberté abstraite comme l’écrivent quelques essayistes à paillettes atteints d’anachronite aiguë. Comme tout cela manque de nuance ! En ce qui me concerne, je fais le constat d’un ordre public laissé en jachère par l’État et de libertés individuelles et / ou publiques chaque jour plus menacées par des prothèses techniques supposées nous rendre la vie plus facile ou des diktats idéologiques qui ne ressortissent pas au strict domaine régalien. D’où l’intérêt de revenir sans cesse à la question technologique fondamentale : De quels outils et moyens pouvons / devons nous nous doter collectivement, selon quelles modalités, pour quels usages, et avec quelle vision de l’Homme ? Si vous le voulez bien, je finirai cet entretien en ouvrant le bal et en répondant ainsi à cette question : Nous devons et pouvons nous doter de tous les outils nécessaires au maintien et au développement technique des conditions de vie d’une nation millénaire, famille de familles, soucieux de la mettre à l’abri du besoin, du danger et de la médiocrité, dans le respect absolu de la règle de droit, de nos libertés fondamentales, de l’intégrité physique et de la sacralité morale de la personne humaine de sa conception à sa mort naturelle.

Tout le reste n’est affaire que du journal de 20 h…

Bertrand Leblanc-Barbedienne a lancé en 2020 Souveraine Tech, média dont l’objectif exclusif est la défense, la veille et l’illustration des intérêts technologiques français, dans un esprit de service. Il connaît aujourd’hui un succès d’estime et revendique une communauté active cumulée de plus de 50 000 personnes sur les réseaux, plus de 100 grands entretiens écrits et trois colloques nationaux à Saint-Malo. Il s’emploie aujourd’hui à arrimer cet édifice tenu d’une main ferme mais seule à une ou plusieurs organisations dans le but de répondre de manière plus puissante encore aux enjeux de souveraineté technologique français. Il est convaincu de l’énorme potentiel économique de ce média d’influence qui a su trouver une place imprenable.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.

Captcha *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.