3 questions à … Carlos Diaz

1. Quels enseignements tirez-vous de Kwarter ? Et quel est votre nouveau défi ?

L’objectif de Kwarter était de rendre interactif les programmes télé en utilisant le motif d’engagement de l’audience via des questions et sondages sur des événements sportifs en live. L’enseignement est qu’il convient de le faire avec des chaînes de télévision pour que ce soit efficace et créer une expérience intéressante pour l’utilisateur. La difficulté de travailler avec les chaînes de télé est réelle bien que les gens des télés soient à la pointe de la technologie. En fait le niveau d’engagement du téléspectateur leur fait peur car il est faible. La télé est allumée aux Etats-Unis un peu comme chez nous la radio et les gens font autre chose en la regardant en arrière-plan. Avec Kwarter, on révélait que l’engagement était plus faible que celui annoncé, ce qui pointait une faiblesse intrinsèque des chaînes de télévision vis-à-vis de leurs partenaires. Aussi il était difficile de trouver un modèle économique viable ce qui est dommage car l’expérience utilisateur délivrée par nous montrait de bons taux d’engagement mais cependant pas suffisants pour eux par rapport à ce que les chaînes télé déclarent à leurs annonceurs…

Interview de Carlos Diaz

En revanche mes deux autres start-up (Bluekiwi et groupe Reflect devenu Emakina) ont très bien marché. Cela fait 20 ans que je fais des start-up. Maintenant j’ai plus envie d’aider. Chaque jour, je vois des projets très intéressants en France mais je trouve dommage qu’il n’y ait pas assez de travail effectué sur le marché américain. Le marché français est piégeux. Il représente 3 % du marché mondial et il est facile de créer sa boîte en France et de signer les premières références. Or les Américains arrivent souvent ensuite avec une même idée mais avec 10 fois plus de fonds levées et ils nous écrasent. Il est impossible de recréer la Silicon Valley en France. Les start-up françaises doivent à présent jouer dans la cour des grands, un peu comme si on avait des clubs français dans la Champions League. C’est la seule façon de concourir avec les Etats-Unis et d’exister mondialement. Les Français n’ont pas les mêmes moyens, la même approche et les règles du jeu diffèrent. En France on fait trop souvent des Poneycorn, même ingrédients qu’une licorne (unicorn) mais de la taille d’un poney. Nous avons quelques exceptions comme ces licornes d’initiative française comme Talend (siège à Redwood City), Criteo, Business Objects (racheté par SAP) ou Teads. Nous avons des ingénieurs très talentueux en France mais nous restons malheureusement enfermés dans un marché trop petit. Les Israëliens et les pays scandinaves par exemple réussissent généralement mieux car ils se posent la question de l’international beaucoup plus vite.

2. Qu’est-ce qui fait la force de la Silicon Valley ? Et en quoi le raisonnement des Américains est-il différent de celui des Français ?

La Silicon Valley constitue un écosystème à part avec un gigantisme et ses propres règles du jeu. C’est comme comparer le cinéma Français et Hollywood. A Hollywood, les films sont pensés pour la planète, avec un objectif, une ambition et une histoire que l’on raconte. Ce sont avant tout des clients et des partenaires mondiaux. Aussi les entreprises doivent comprendre qu’il est important de modifier sa stratégie, sa vision et son go to market. Cela oblige à sortir de se sa zone de confort.

Les Américains se moquent du quoi mais se focalisent sur le problème. Est-ce que c’est un problème qui fait mal, qui arrive tous les jours, de temps en temps ? Un peu comme si cela se produit une fois et que c’est très grave (morsure de requin) ou que cela intervient plusieurs fois par jour (piqûres de moustiques). Ensuite ils examinent l’opportunité de marché qui en découle. Ainsi ils répondent au Pourquoi et non au Comment.

Ils pensent vraiment à changer le monde (We want to make a world better place), c’est toute une philosophie et une culture. Le monde est pour eux rempli de problèmes et un problème est une opportunité. Et en le réglant, le monde sera meilleur. Et plus le problème est gros, plus l’opportunité business sera réelle. Better doesn’t work: ce n’est pas la logique comme en France de vouloir la perfection et sortir un produit sans bogue mais plus tardivement. Ici, l’expérience utilisateur accumulée (avec le feedback des utilisateurs et l’intelligence apportée par la multitude) va être utile même si le premier produit n’est pas terrible techniquement voire fonctionnellement.

Des questions se posent au départ : quel est le ratio entre l’opportunité et le risque (se frotter à un acteur plus ou moins établi). Le mode de raisonnement est très opportuniste, la question n’est pas de fabriquer de la technologie mais de l’utiliser pour résoudre des problèmes. Le siècle des Lumières est bel est bien fini. Tout le monde a des idées partout dans le monde.

La Silicon Valley est la capitale mondiale du digital. Les Etats-Unis représentent un marché assez homogène de 320 millions de personnes mais le consommateur américain consomme 5 fois plus de services et produits digitaux (par exemple iTunes) que l’Européen, c’est toute une différence.

3. Pourriez-vous nous parler de The Refiners, programme d’accompagnement que vous lancez pour des start-up françaises voulant jouer dans la cour des grands avec le passage obligé par la Silicon Valley ? Et quelles sont les modalités pratiques ?

Nous lançons The Refiners pour permettre de changer le mode de pensée et l’organisation des start-up prometteuses. Nous avons défini une vraie méthodologie à cet effet et une façon de travailler, celle de la Silicon Valley. C’est plus sporadique et fait appel à de la maïeutique pour que les créateurs se posent les bonnes questions. Culturellement, la Silicon Valley est un environnement collaboratif : les start-up travaillent ensemble même si elles ne sont pas positionnées sur le même sujet, c’est pour cela qu’elles sont dans des accélérateurs.

Le programme type d’une semaine est le suivant :

  • Lundi : tour de table par rapport à la semaine passée, les accomplissements avec échecs et réussites et cela est dit devant toutes les autres start-up et devant nous, les accompagnateurs. Par exemple perte du Directeur technique et comment réagir. Il convient d’être transparent face aux échecs et aux réussites. Cela incite à accomplir une avancée toutes les semaines même si est petite : recrutement d’un ingénieur, parution d’un article, etc. Cela crée une émulation entre toutes les start-up.
  • Mardi : un expert de la Silicon Valley intervient sur des sujets particuliers. Ceci est utile pour apprendre à écouter. Les Américains sont plus dans l’écoute.
  • Mercredi et jeudi : nous passons du temps avec les start-up, avec également les partenaires de The Refiners. Nous ne sommes pas là pour leur dire ce qu’il faut faire mais identifier les opportunités et les obstacles et activer qui dans notre réseau va être mis en contact en conséquence : Tesla, Google, Twitter, etc. Sans réseau dans la Silicon Valley, on n’avance pas. Les start-up doivent démontrer une métrique, des KPI (key performance indicators) à mettre à jour. C’est très orienté résultat. Toutes les semaines, nous voulons inculquer des réflexes pour qu’elles manipulent les données.
  • Vendredi : pitch dans la Silicon Valley pour raconter une histoire.

Avec ces ingrédients (travailler en équipe, savoir écouter, bénéficier du réseau, bâtir des KPI raconter une histoire), on augmente très sensiblement ses chances de réussir dans la Silicon Valley et ailleurs. Nous proposons une méthode et une façon de travailler et de les accompagner pour que cette méthode devienne naturelle pour faire des grandes choses.

The Refiners organise la communauté d’entrepreneurs dans la Silicon Valley. Jadis, les entrepreneurs français qui venaient à San Francisco et la région étaient positionnés dans la boulangerie et le vin. Ensuite ils sont venus travailler dans des entreprises innovantes. Désormais, on assiste à une nouvelle génération qui arrive dans la vallée, celle de vrais entrepreneurs. Avec Géraldine Le Meur, on veut organiser le groupe d’entrepreneurs dans la Silicon Valley qui vont aider les nouvelles start-up. 1 800 start-up se créent tous les ans en France selon la BPI. Nous avons une fièvre entrepreneuriale et en tant que co-fondateur des Pigeons, j’ai une certaine fierté.

A la fois en matière de taille de marché et d’entrée en Bourse, il est absolument nécessaire que l’on crée un pont avec les Etats-Unis car on parle de marché à taille critique ou d’opportunités de rentrer en Bourse, c’est ici que cela se passe. Notre programme permet aux start-up de se positionner sur les deux continents, Europe et Etats-Unis. C’est un peu comme Spotify, entreprise suédoise qui s’est mise dans une logique américaine. Les Américains sont persuadés que Spotify est une boîte américaine. Aussi il faut que les start-up existent cross-border en France.

Nous avons le projet The Refiners qui est l’accélérateur. Et le projet d’accélérer 70 start-up françaises dans les 3 premières années avec un premier batch de 12 entreprises le 12 septembre 2016 à San Francisco. Le programme consiste à investir 50 000 dollars à chaque start-up sélectionnée en période de levée de fonds. Celle-ci doit être positionnée dans le domaine du digital et avoir une ambition globale. En 2017 et 2018, nous prévoyons 2 batchs par an pour accélérer les autres start-up les 2 années suivantes.

Nous avons la chance d’avoir un élan entrepreneurial avec la French Tech et il faut que cela s’internationalise. Le marché français n’est pas assez grand et c’est avec la Silicon Valley que cela se passe.

Notre travail consiste à accompagner les start-up et avec une roadmap, les connecter au marché américain. L’accélération et le branchement à l’écosystème américain permet une valorisation d’un facteur 3 ou 4.
Géraldine Le Meur, Pierre Gaubil et moi sommes les fondateurs. On s’appuie en outre sur un solide réseau d’une centaine d’entrepreneurs avec des figures comme Brian Solis ou encore Reid Hoffman, le fondateur de LinkedIn.

Concrètement, l’objectif est que des fonds soient levés aux Etats-Unis mais il peut aussi avoir des Français dans le tour de table et il est important d’avoir des investisseurs de différentes nationalités si le projet est global. Plus tôt on internationale, pas simplement en produits et business, mais en investisseurs corporate. Les plus sont notre programme et ce qu’il peut apporter dans le développement de la start-up ainsi que l’accès aux investisseurs américains.

C’est le parfait moment pour le lancement de The Refiners car l’écosystème de Français dans la Silicon Valley est mûr.

12 septembre 2016

Carlos Diaz est entrepreneur high-tech installé dans la Silicon Valley, fondateur de Bluekiwi et de Kwarter, figure du mouvement Les Pigeons. Il lance The Refiners pour booster le développement des start-up françaises grâce à l’accès au marché américain et à un accompagnement spécifique.

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