3 questions à … Florence Devouard


1. Quelles ont été vos principales actions lorsque vous étiez présidente du conseil d’administration de la Wikimedia Foundation ? Que pensez-vous du modèle économique de Wikipedia et de son succès ?

J’ai passé 4 ans (2004 à 2008) au Conseil d’administration de la Wikimedia Foundation, dont deux ans comme présidente à la suite de Jimmy Wales, co-fondateur de Wikipedia.
Pour se remettre dans le contexte de l’époque, à mon arrivée au conseil en 2004, Wikipedia n’était encore qu’un petit projet globalement méconnu. La Wikimedia Foundation, organisation caritative hébergeant Wikipedia venait juste d’être créée. Elle était sise en Floride, aux Etats-Unis (état bien connu pour son accueil de la population retraitée et ses crocodiles, beaucoup moins pour ses pépinières de sociétés high-tech ou son pool d’ONG). La Wikimedia Foundation possédait à l’époque … des statuts juridiques, 4-5 serveurs, un compte en banque avec quelques 10 000 dollars dessus, quelques noms de domaine (dont wikipedia.org et wikipedia.com) et c’est à peu près tout. Pas de locaux, pas de salariés, pas de procédures…. tout était à faire !

A mon départ en 2008, la Wikimedia Foundation était une organisation fraîchement déménagée de la Floride à San Francisco, dotée d’une directrice exécutive (toujours en poste en ce début 2011), d’une équipe salariée d’une trentaine de personnes, de son propre centre d’hébergement de serveurs, de comptes financiers audités par un cabinet indépendant, d’un « business model » basé sur le don, d’un budget qui sans être mirobolant permettait de travailler (6 millions de dollars) et j’en passe.

Donc je dirais que ma principale action en tant que présidente de la Wikimedia Foundation a été d’aider l’organisation à passer le cap de la professionnalisation avec succès, sans perdre son âme, ses valeurs et la confiance de la communauté wikimédienne.
Si j’avais à citer les plus gros challenges que j’ai eu à vivre comme présidente, certains seraient probablement les mêmes que ceux vécus par de nombreuses jeunes start-up lorsqu’elles grandissent.
Pour nous, ce fut bien sûr le manque de fonds, surtout critique en 2006 et 2007. Ce fut de travailler à distance mais de parvenir à organiser des rencontres régulières pour un Conseil d’administration entièrement bénévole et dispersé dans le monde entier. Pour moi, ce fut d’être la première à remplacer Jimmy Wales, fondateur de Wikipedia et de la Wikimedia Foundation, à la tête de l’organisation (pour ceux ayant vécu les affres de la succession d’un père fondateur, ce n’est pas toujours une place très confortable). Autre challenge, avoir la responsabilité de remercier le directeur en place peu de temps après mon arrivée… puis passer une année entière à chercher un directeur interim (et trouver un directeur interim pour une organisation caritative … à St Petersburg, Floride…. ce n’est pas simple). Dernier challenge, et non des moindres…. trouver un trésorier à la hauteur de la situation pour compléter le Conseil d’administration et assurer à la fois le conseil stratégique et le contrôle des procédures mises en place par l’équipe salariée. A mon départ, je crois pouvoir dire que l’essentiel des pièces était en place pour s’assurer d’une organisation stable, solide et de confiance. Bien sûr, rien n’aurait été possible sans l’aide de dizaine de bénévoles très impliqués dans le fonctionnement même de la Wikimedia Foundation toutes ses années.

Le modèle économique que nous avons mis en place dès 2003 est celui du don. Nous faisons appel à la générosité des utilisateurs de Wikipedia, par le biais de l’affichage de bannières sur le site wikipedia.org, en particulier en fin d’année civile. Aujourd’hui, l’argent est collecté par une quinzaine d’organisations et réutilisé pour faire fonctionner le site, organiser des rencontres, promouvoir les projets, etc. Lors de la dernière levée de fond (hiver 2010), nous avons globalement collecté 19 millions de dollars avec par exemple en France, un don moyen qui est de 45 euros.

Ce système convient actuellement parfaitement à nos besoins. Il nous permet de fonctionner en toute indépendance et tout en donnant à nos lecteurs le moyen d’exprimer leur soutien au projet et à la communauté.

2. Comment voyez-vous évoluer la collaboration dans l’entreprise et le décloisonnement des directions avec la kyrielle d’outils 2.0 en général et les wikis en particulier ?

J’ai l’occasion de suivre cette évolution car j’ai choisi mi-2008 de m’installer comme consultante-formatrice pour aider les entreprises et les institutions publiques à mettre en œuvre certains des outils dit 2.0 (surtout les wikis pour ne pas les nommer :)) et en particulier les accompagner au niveau des usages. J’éprouve beaucoup de plaisir à voir que l’expérience que j’ai vécue et que je continue à vivre avec Wikipedia peut inspirer le monde de l’entreprise.

Ceci étant, en France en particulier, je ne trouve pas le tableau très convaincant. J’ai le sentiment que les principaux bénéficiaires de ces outils et des nouvelles pratiques que nous observons au sein des communautés en ligne sont surtout les moyennes entreprises en raison de leur plus grande souplesse et capacité à adopter de nouveaux outils disruptifs. Les grandes entreprises semblent être un peu « coincées » par les systèmes d’information déjà en place, des accords contractuels déjà établis avec des sociétés informatiques, leurs besoins internes de sécurité et d’interopérabilité, etc. Je ne suis pas certaine non plus que l’énorme buzz autour des réseaux sociaux et leurs promesses…. qui va forcément générer des déceptions… soit fait pour aider les choses. Malgré tout les choses bougent dans le bon sens 🙂

3. Enfin, quelles sont vos actions en matière de numérique aujourd’hui et comment voyez-vous l’année 2011 et ses tendances en la matière ?

Mes actions s’expriment à travers de l’activité professionnelle que je me suis choisie. Mes centres d’intérêts actuels tournent autour de deux sujets. L’un est la possibilité de faire avancer les concepts d’économie sociale et solidaire grâce aux nouvelles technologies, par exemple à travers la diffusion d’histoires de projets innovants réussis et d’échanges de bonnes pratiques entre porteurs de projets.
L’autre repose sur l’espoir de pouvoir aider ou au moins motiver les entreprises à mieux documenter et raconter leur histoire, à la fois dans un souci de préservation de leur patrimoine, mais aussi pour aider leurs équipes, leurs clients et leurs partenaires à comprendre l’entreprise, ses services, ses produits, sa culture. Contrairement aux tendances actuelles, je continue à donner plus d’importance aux « contenus » qu’aux « personnes » (n’en déplaise aux accros de Facebook :))

Je suis toujours très active au sein du mouvement Wikimedia. Je continue très modestement à participer à l’activité éditoriale de Wikipedia de temps à autre; je fais partie du Conseil d’administration de l’association Wikimedia France, association pour le libre partage de la connaissance ; et au sein de l’association, je m’investis plus particulièrement au niveau de la collecte de fond. C’est un travail peu visible mais l’évolution de l’association et de son activité aujourd’hui très tournée vers les partenariats avec des institutions culturelles publiques, nécessite … des sous…. d’optimiser nos processus et …. tout comme pour la Wikimedia Foundation en 2006…. nous impose de nous professionnaliser dans une certaine mesure pour mettre en place un « business model » stable. Ce sont sur ces points que j’essaye d’apporter mes compétences.
Enfin, je garde espoir de pouvoir aider à développer d’avantage la diffusion de la culture libre en Afrique francophone, mais le programme de cette année me semblant déjà fort chargé…. cela ne se fera probablement qu’au gré des opportunités 🙂

3 février 2011

Florence Devouard, consultante-formatrice Web notamment en matière de wikis, est ancienne présidente du conseil d’administration de la Wikimedia Foundation. Elle anime le site Anthere.

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