3 questions à … Marc Rougier


1. Comment définiriez-vous le terme de « curation » qui commence à faire du buzz ? Quels sont ses enjeux ?

La curation se définit comme la sélection, l’organisation et le partage d’information. Le mot d’origine anglaise fait référence au terme « curator », le commissaire d’exposition d’un musée.

L’enjeu de la curation est double :

D’une part, simplifier l’accès à l’expression : permettre à tout un chacun de devenir éditeur en chef sur un sujet de passion ou d’expertise, sans pour autant avoir le temps, l’inspiration ou le savoir faire pour créer du contenu ex nihilo. C’est un enjeu d’évolution des média, qui avec Internet se sont ouverts à la masse, d’abord via les blogs, puis les réseaux et média sociaux. L’étape suivante de cette évolution des média est la curation : l’expression par la qualification et la mise en contexte de contenus pré-existants. Aussi simple que le microblog mais potentiellement aussi riche que le blog. Cet enjeu de l’évolution de l’expression touche autant l’individu, qui trouve ainsi un canal d’expression qualitatif mais simple, que les entreprises ou les marques, qui peuvent ainsi devenir référant sur un thème choisi.

Le second enjeu est dans la recherche et la découverte de contenu: la curation opère de fait une hiérarchisation d’Internet, permettant aux internautes de trouver du sens, d’extraire plus facilement la qualité de la quantité. Cet enjeu est également de taille car, si le pouvoir du curateur augmente, alors le poids relatif des algorithmes de recherche va s’amoindrir. Sans parler bien sûr du remplacement de la recherche algorithmique ni sous-estimer l’importance de la réputation, il est indéniable que la contribution des curateurs va fondamentalement changer la façon dont nous trouverons, consommerons et donc valoriserons le contenu d’Internet. Au même titre que l’effort d’un éditeur en chef, d’un DJ ou d’un commissaire crée de la valeur dans un magasine, une nuit musicale ou une exposition d’art.

En somme, l’enjeu est une évolution des deux piliers d’Internet que sont les moteurs de recherche et les média sociaux, d’une part en démocratisant l’expression qualifiée et d’autre part en humanisant la hiérarchie des contenus.

2. Pourriez-vous présenter les dernières évolutions de Goojet et le projet Scoop.it ? Quel est le modèle économique de Scoop.it ?

Depuis trois ans, Goojet opère un média social, dont la particularité est d’être thématique et mobile : nous diffusons auprès des mobinautes des contenus organisés par centres d’intérêt, avec une dimension sociale forte (échanges, discussions, création de contenu autour des thèmes). Goojet a rencontré un réel succès. Nous avons passé la barre du million de mobinautes. Nous avons constaté plusieurs choses : d’une part, si les thèmes « short tails » (sport, actu, etc.) sont inévitables, il y a un réel enjeu à créer des médias beaucoup plus ciblés, adressant l’infinie richesse de l’activité humaine (Freeride Skying plutôt que Sport, Square Photography plutôt que Art, Midem 2011 plutôt que Musique ou Business, par exemple). Par ailleurs il y a une réelle appétence de la communauté à s’exprimer sur des sujets d’expertise ou de passion, sans nécessairement en avoir le temps ou le savoir-faire. L’évolution naturelle était donc de proposer une plateforme dédiée à la création de média thématiques, permettre à la communauté de s’exprimer sur des sujets ciblés, en partageant « leur meilleur » du web. Donc, une plate-forme de publication par curation, telle que nous définissions Scoop.it.
Notre business model est basé sur deux axes : le 1er concerne la publicité ultra-ciblée. Nous avons des choses intéressantes à proposer, comme des espaces thématiques précis ou l’intégration directe des contenus publicitaires sur le modèle de la curation ; en étant ultra-ciblée, la publicité a davantage de valeur pour l’annonceur mais gagne aussi en intérêt pour le lecteur. L’autre axe que nous allons développer est une offre pro : de nombreux utilisateurs nous disent utiliser Scoop.it de façon professionnelle et seraient prêts à payer pour plus de fonctionnalités. En effet, les marques et les services qui doivent s’exprimer sur le web, de façon régulière auprès d’une communauté affinitaire, considèrent de plus en plus la curation comme une évolution idéale du « content marketing ».

3. Comment jugez-vous l’évolution de la blogosphère face à la montée des réseaux sociaux ?

Pour reprendre le premier point sur l’enjeu de la curation, l’évidence est que les réseaux sociaux ont été une étape supplémentaire, post blogs, à la démocratisation de l’expression. Car ils l’ont simplifiée: soit en offrant une audience naturelle (mon carnet d’adresses, Facebook, devient mon audience), soit en offrant un format ultra léger et temps réel (Twitter), soit en supprimant tout simplement l’effort de création en proposant de s’exprimer par le partage ou l’élection de contenu (Stumbleupon ou le reblog de Tumblr, etc.).

Le blog reste un endroit indispensable pour l’expression réfléchie et archivée, pour la production originale; mais devient « élitiste » en quelque sorte. Les réseaux sociaux en sont devenus les vecteurs démocratiques incontournables.

Les blogueurs ont du s’adapter à ce nouveau mode de consommation. Ce qui compte c’est le nombre de partages Facebook/Twitter; espérer seulement du trafic sur la base d’un nombre d’abonnés RSS ne suffit plus. Cela laisse la place à plus d’articles venant de blogs moins « connus » mais qui font des coups d’éclats. Par contre, cela a aussi eu comme conséquence de faire arrêter certains blogueurs, qui ont migré sur de la publication Twitter/Facebook uniquement.

La tendance vers la simplification de l’expression continue. Nous pensons que la création simple de média thématiques par curation, en conjonction mais non en remplacement des blogs et réseaux sociaux, est la prochaine évolution. Le blog comme endroit privilégié mais exigeant de production originale, le réseau social comme vecteur démocratique de diffusion, le média par curation comme organisateur et médiateur.

23 janvier 2011

Marc Rougier est président co-fondateur de Goojet et de Scoop.it, plate-forme de publication par curation. Entrepreneur récidiviste depuis plus de 20 ans, passionné d’innovation et de voyages, Marc (@MarcFuseki) a développé du business dans Internet et les technologies de l’information en Europe, en Asie et aux États-Unis. Il était notamment le président co-fondateur de Meiosys, éditeur logiciel dans la virtualisation, acquis en 2005 par IBM.

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