3 questions à … Lorenzo Soccavo

Interview de Lorenzo Soccavo

1. Avec le développement du Web, quelle complémentarité voyez-vous entre la presse écrite et la presse en ligne et comment doit se repositionner le support écrit ?

La complémentarité est surtout je pense à concevoir au niveau des lecteurs et de leurs usages. Les deux, presse off et on line peuvent très bien rester complémentaires. C’est peut-être la question entre presse payante et presse gratuite qui serait économiquement la plus problématique aujourd’hui, en tout cas celle qui devrait interpeller…

Quoique, économiquement, il n’y a pas photo : qu’il s’agisse de presse payante ou gratuite, le papier avec ses contraintes et son écobilan défavorable est beaucoup plus onéreux que le numérique. Et puis les avantages du numérique sont tels, tellement évidents et tellement de plus en plus appréciés par une population grandissante et technophile que nous ne pouvons pas imaginer que la presse off line perdure ainsi plusieurs décennies… Je parle bien de presse off line, car la presse en ligne aujourd’hui comme demain reste de la presse écrite et ceux qui la font sont et doivent rester des journalistes. Mais il est incontestable que le numérique n’a pas fini d’apporter son train d’innovations. Les kiosques numériques, par exemple, vont certainement connaître un développement considérable dans les mois qui viennent. Cela dit, c’est l’arrivée de nouveaux dispositifs de lecture utilisant la technologie e-ink/e-paper qui va bouleverser la donne et, à plus ou moins long terme, remplacer la presse papier traditionnelle. Il s’agit bien seulement de remplacer le support de lecture. Lire sur du e-paper sera plus facile que de lire sur des feuilles de papier traditionnel. De plus le journal pourra être actualisé plusieurs fois par jour. De plus les lecteurs pourront réagir, commenter, voire contribuer… D’une part ils seront plus actifs, d’autre part ils auront accès à des services qu’un journal papier ne peut pas leur donner…

Plusieurs expériences, que je présente dans mon livre « Gutenberg 2.0 » ont déjà eu lieu dans le monde en 2006. En avril 2007, le quotidien économique Les Echos va sortir une édition sur e-paper. Nous en attendons tous beaucoup…

2. Numérisation de livres et recherche sélective d’extraits via Google par exemple, oeuvres collaboratives sur Internet, quelles sont les caractéristiques de la révolution que nous allons vivre ? Et en matière de support, quels sont les enjeux de l’e-ink et de l’e-paper ?

C’est l’émergence du Web 2.0 dans l’univers du livre ! Depuis le début des années 2000, le numérique a lentement mais surement révolutionné toute la chaîne du livre. L’informatisation a apporté de nouveaux outils de rédaction, d’impression, de diffusion, de communication et de commercialisation à tous les partenaires, des auteurs aux lecteurs. Ces outils multiples sont aujourd’hui garants de la bibliodiversité et de l’indépendance, tant des auteurs que des éditeurs. Que le livre puisse encore évoluer aujourd’hui dans notre société de mass media et de plus en plus High Tech est une véritable chance. À la fin du XXe siècle, le numérique a ainsi permis de libérer l’écrit de la cage dorée dans laquelle le livre imprimé et relié le retenait prisonnier. Au XXIe siècle l’e-paper va libérer le livre. Grâce à la technologie e-ink, le livre ne va pas se dématérialiser comme le texte numérisé, il va se “rematérialiser” sous une forme nouvelle, lui donnant accès aux services véritablement utiles et interactifs du Web 2.0. Attention cependant : ces nouveaux dispositifs de lecture devront rester avant tout des livres, et non pas devenir des ordinateurs de poche. Avec la convergence numérique de nombreuses solutions permettent déjà de lire du contenu multimédia en situation de mobilité. A côté de ces offres, il faudra, pour les amoureux de la lecture et des livres, trouver le juste milieu entre tablette de lecture et Tablet PC. Avec l’e-paper cela est maintenant possible.

3. Comment voyez-vous évoluer l’édition électronique au côté de l’édition papier ? Cannibalisme ou complémentarité ?

Si l’on entend par édition électronique, édition en ligne, je pense qu’elle se développera, mais restera complémentaire de l’édition papier qui développera elle l’impression à la demande. Les textes sont aujourd’hui systématiquement numérisés et cette numérisation leur ouvre d’extraordinaires possibilités de diffusion…

Mais ce modèle qui semblait raisonnable il y a encore un an est aujourd’hui remis en partie en question avec la maturité de l’encre électronique. Car pour ce qui est maintenant des nouveaux dispositifs de lecture en e-paper, ils vont eux certainement un jour remplacer les livres papier, comme les CD ont remplacé les disques 33 tours et la photo numérique l’argentique. L’e-paper est fondamentalement une évolution du papier. Ces nouveaux livres, ces livres de nouvelle génération, ou livres 2.0 pourrions-nous dire, sont des tablettes de lecture du format et du poids d’un livre de poche, mais, avec une seule et unique page. Et cette page, c’est de l’e-paper, et elle apporte exactement le même confort de lecture, la même lisibilité qu’un papier traditionnel. Grâce à la technologie e-ink il n’y a pas de rétro-éclairage, il ne s’agit pas d’un écran, mais, bel et bien, d’e-paper. Et une de ces tablettes peut contenir l’équivalent de plusieurs centaines de livres de poche. Le livre a un très long passé derrière lui, mais il a également un très bel avenir devant lui. Six siècles après Gutenberg, c’est une nouvelle révolution qui va changer notre façon de lire. Aujourd’hui les professionnels de l’édition en ont bien conscience et après s’être mis à l’informatique, ils se préparent aux readers e-paper, commercialisés en Asie et aux États-Unis depuis peu et qui le seront bientôt en Europe.

9 mars 2007

Lorenzo Soccavo est spécialiste en prospective de l’édition. Il publie le 15 mars Gutenberg 2.0, le futur du livre. Il accompagne des directions éditoriales dans leurs stratégies prospectives de développement. Son site.


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